Nancy – Opéra National de Lorraine jusqu’au 22 mars 2013Nancy – Opéra National de Lorraine jusqu’au 22 mars 2013

The importance of being earnest -L’importance d’être constant de Gerald Barry d’après Oscar Wilde

Gerald Barry met en folles cadences l’humour d’Oscar Wilde

 The importance of being earnest -L'importance d'être constant de Gerald Barry d'après Oscar Wilde

Il pleut sur la place Stanislas en ce dimanche de mars, le ciel est triste mais sur la scène de l’Opéra National de Lorraine, l’humour anglais se moque du temps. Mieux vaut en rire, souffle-t-il, le sourire en coin. C’est tout le suc et le sel de la plus célèbre comédie d’Oscar Wilde, L’importance d’être constant, que le compositeur irlandais Gerald Barry, a mise en opéra et qui à Nancy reçoit le baptême de sa première version scénique.

Commande du Philharmonique de Los Angeles et du Barbican de Londres, ce cinquième opéra de Barry fut créé dans ces deux villes en version de concert il y a un an.

L’importance d’être constant de Gerald Barry

Le voici donc enfin mis en scène et en images sur les marches d’un
« cake-stand » géant (littéralement « porte-gâteaux » : cette pièce de vaisselle à étages qui sert de présentoir à friandises). Posé sur un napperon de dentelle, devant un mur de papier peint fleuri où crachent des lions victoriens, il constitue un décor très « five o’clock tea time » et se prête aux changements de lieux. Conforme à l’esprit et à la lettre du compositeur et de son modèle.

Gerald Barry, la soixantaine naissante, élève de Stockhausen et de Mauricio Kagel, n’est pas très connu en France malgré un bref passage au Festival Présences en 2007 où était présentée sa mise en opéra d’une pièce de Strindberg (La Plus forte). Il aime les textes de théâtre, comme. Die bittere Tränen von Petra von Kant – Les larmes amères de Petra von Kant de Rainer W. Fassbinder pour lequel il composa un autre opus lyrique.

Sa rencontre, sa connivence pourrait-on dire, avec son compatriote Oscar Wilde (1854-1900), dandy, poète, prince de l’ironie était sans doute fatale. Les pièces de Wilde sont elles-mêmes des morceaux de musique. Richard Strauss en tira les langueurs assassines de Salomé. Zemlinsky donna vie au Nain de son Infante et à sa Tragédie Florentine. A son tour Gerald Barry s’enivra quasiment des jeux de mots, jeux de sens et de contresens de son The importance of being earnest, au titre double, faisant d’Ernest, le prénom et d’earnest l’adjectif signifiant sérieux, un même amalgame ambigu. L’importance d’être constant est une traduction plausible.

L’importance d’être constant de Gerald Barry

On y rencontre Algernon, dandy, pianiste, et Jack Worthing, son meilleur ami aux origines incertaines qui se fait appeler Jack à la campagne et Ernest (Constant) à la ville. Un prénom qui a séduit Gwendolen, fille de Lady Bracknell, la très revêche tante d’Algernon et dont il est très épris. Dans son manoir, les personnalités vont s’échanger, se chevaucher, faux frères et faux cousins, inventés de toutes pièces, vivants ou morts quand ça convient. La pupille Cecily a le coup de foudre pour Algernon et la gouvernante Miss Prism fait la paire avec un prêtre révérend pas si révérend que ça…Les intrigues moussent comme de la crème Chantilly. Les répliques pètent de drôlerie, l’ironie s’infiltre et colore de cynisme les échanges aux apparences si joliment mondaines. L’humour anglais frôle son sommet.

Gerald Barry l’a condensé, - deux tiers du texte original ont été enlevés - pour mieux en débusquer les dessous, la charge et la noirceur. Il en garde les morceaux à déguster à pleine bouche, les sandwiches au concombre et autres bread and butter, petits pains beurrés qui tiennent lieu de petits fours chez nos voisins anglo-saxons.

L’importance d’être constant de Gerald Barry

Les colères de l’irascible Lady Bracknell explosent en vers allemands – empruntés à Schiller - martelés manu militari qui n’existent nullement chez Wilde mais dont Barry a cru bon assaisonner sa musique. Qui n’en demande pas tant. Elle se suffit à elle-même, cadencée en diable, alternant les passages parlés avec les déferlantes musicales, depuis le piano sonorisé de l’ouverture aux envols de cuivre, les bourdons des cordes, les machines à vents, les piétinements et bruits divers – un rot a cappella -, pistolets ou bris de vaisselle et ce cocasse duo des filles, Cecily et Gwendolen, papotant via des mégaphones.

Le tragique perce sous la frivolité, les caresses verbales ont des doigts crochus. La mise en scène de Sam Brown en épouse les méandres et rebondissements de façon quasi millimétrée. Dans leurs costumes si joliment bouffons, les chanteurs-acteurs rivalisent de cette « trivialité » qui est la marque de fabrique de Wilde et que Barry a su transposer notamment en confiant le rôle de Lady Bracknell à une basse bouffe : tout en rondeurs et en raideurs, Alan Ewing en fait une désopilante mémère. John/Jack/Ernest Worthing est incarné par un Chad Shelton oscillant la dignité de garçon bien élevé et les chausse-trappes de ses mensonges, Phillip Addis campe un Algernon, dandy monté sur ressorts, Wendy Dawn Thompson assure une Gwendolen de classe tandis que Ida Falk Winland expédie dans les cintres les aigus de Cecily. Diana Montague et Steven Beard forment le couple Prism/Chasuble avec le zeste approprié d’hypocrisie bienséante, José Luis Barreto joue les serviteurs, moustache à la Charlot vissé sous le nez comme la bande de figurants choristes qui complètent les tableaux.

Tito Muñoz emporte en virtuose les musiciens de l’orchestre symphonique et lyrique de Nancy dans les folles chevauchées de Gerald Barry. Le plaisir de l’écoute rejoint celui du regard.

L’importance d’être constant de Gerald Barry

The importance of being earnest - L’importance d’être constant, musique et livret de Gerald Barry d’après Oscar Wilde, orchestre symphonique et lyrique de Nancy, direction Tito Muñoz, chœur des hommes de l’Opéra National de Lorraine, mise en scène Sam Brown, décors et costumes Annemarie Woods, lumières D.M. Wood, chorégraphie Lorena Randi. Avec Chad Shelton, Ida Falk Winland, Phillip Addis, Wendy Dawn Thompson, Diana Montague, Alan Ewing, José Luis Barreto, Steven Beard .

Nancy – Opéra National de Lorraine, les 19, 20, 21 et 22 mars à 20h, le 17 à 15h.

03 83 85 33 11 – www.opera-national-lorraine.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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