Teatro a corte, Turin

Le retour des thèmes politiques

Teatro a corte, Turin

On pourrait penser qu’un festival italien se déroulant surtout dans les demeures et palais du Piémont favoriserait le style « son et lumière ». Mais il n’en est rien pour « Teatro a corte » (théâtre dans les cours royales) qui se tient à Turin et dans sa région depuis quatorze ans. Le directeur, Beppe Navello, cherche au contraire à faire vivre le théâtre le plus moderne, de préférence le théâtre pluridisciplinaire, dans ces bâtisses ancestrales que, parfois, d’ailleurs, les architectes ont rénovées avec une belle audace irrespectueuse.
A en juger par l’un des trois week-ends, celui qui allait du 25 au 27 juillet, l’édition 2014 marquait un retour au discours politique. Scarti (Déchets) par l’Onda Teatro de Turin dénonçait la non-réflexion de bien des gens autour du problème des ordures. Boia (Voyou) par l’Ateliersi de Bologne était un spectacle de Fiorenza Menni et Andrea Mochi Sismondi regroupant les graffiti recueillis sur les murs de la ville et les renvoyant comme des armes verbales. Représenté à la magnifique Veneria Reale (sorte de château de Versailles italien), cet étrange concert de mots et de notes frappait fort.
Le pays invité était la Finlande, qui a surtout fait la démonstration de ses esthétiques nouvelles en matière de danse et de cirque. Dans Deep et Together, Alpo Aaltokoski illustra une gestuelle reposant sur un corps travaillant autant avec ses os qu’avec ses muscles. Dans Pinta/Surface, la trapéziste Salla Hakanpää jouait avec l’eau, son scintillement et sa capacité d’engloutissement. Décidément, pour qui a vu Lucrèce Borgia mis en scène par David Bobée à Grignan, le plan d’eau devient partout une scène profonde avec qui jouer ! L’artiste finlandaise ajoute au dialogue avec la matière un dialogue avec la vidéo qui lui permet de se dédoubler. Surprenant moment qui tient autant du numéro de music-hall avant-gardiste que du cirque. Dans Muualla, Llona Jänti exécute des acrobaties en fonction d’images vidéo qui dessinent des formes et des animaux sur un écran : c’est d’une grâce parfaite.
L’engouement pour le spectacle aquatique
Il y avait encore de l’eau, avec un vrai bassin où s’ébrouaient des comédiens, pour Lazurd, voyage à travers l’eau par la compagnie catalane Senza tempo. Le propos est de figurer un périple de personnages exclus du monde par leurs différences ethniques et culturelles. Si le spectacle commence bien par une heureuse pantomime burlesque, il devient peu à peu d’une terrible gratuité. Les acteurs jouent avec l’eau, sans exprimer autre chose qu’un certain plaisir ludique, même s’ils évoquent parfois les rapports de la religion avec le sexe. La pensée est bien vide, en tout cas peu musclée. (A propos du théâtre catalan, on a préféré, et de loin, Sergi Lopez jouant Livingstone dans le off d’Avignon).
Il y a plus de vigueur dans Silence encombrant présenté par Barthélémy Bompard et et la compagnie française Kumulus. C’est, originellement, du théâtre de rue. Une grande benne à ordures est posée sur une place publique. Elle se met à dégorger des objets et des hommes. Au milieu de rouleaux de métal, panneaux cassés, fils électriques embrouillés, pneus usagés, reliquats en tous genre, des hommes et des femmes se détachent de la poussière, sales, gris, squameux, hébétés. Quels sont les rebuts de nos civilisations ? Les choses ou les hommes ? Kumulus opère ce face à face des victimes de la société de consommation avec le public. Le spectacle est très fort, peut-être un peu long, quand il se déroule comme une pièce de théâtre, et non comme un événement qui surprend le public alors qu’il marche dans la rue. Kumulus, de toute façon, saisit les spectateurs avec une rare intensité.
Le festival Teatro a corte s’achève bientôt. Rendez-vous l’été prochain. Mais on notera que son directeur, Beppe Navello, est aussi le directeur du théâtre Astra et qu’il mettra en scène, à partir du 5 janvier, dans cette salle turinoise, un Marivaux fort peu connu, Le Triomphe de Plutus. Ce sera une autre façon de renouveler les liens entre le théâtre italien et le théâtre français. Cette pièce fut créée en 1728 à Paris par les comédiens italiens de la capitale. Et Paris l’a oubliée !

Teatro a corte, Turin (Italie), tél. : 00 39 011 56 34 352, jusqu’au 3 août.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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