Critique – Opéra/Classique

THEODORA de Georg Friedrich Haendel

Charnel et mystique, l’amour plus fort que la loi

THEODORA de Georg Friedrich Haendel

C’est l’avant dernier oratorio du très prolifique Georg Friedrich Haendel (né à Halle en Saxe en 1685, mort à Londres, naturalisé anglais en 1759), composé alors que la santé du père du Messie, d’Ariodante et quelques autres opus légendaires déclinait irréversiblement. Ode à la tolérance, à la reconnaissance d’autrui, Theodora était, dit-on, son oratorio préféré. Tout de douceur et de pudeur, d’une intériorité qui exclut les envols en vrilles musicales virtuose de ses œuvres antérieures, il désarma ses premiers auditeurs. Sa création en 1750 fut un échec. Il est aujourd’hui l’un des plus admiré pour son lyrisme retenu quasi hypnotique et pour son histoire.

Une histoire d’amour qui prête l’oratorio au basculement d’une théâtralisation. Nous sommes à Antioche au IVème siècle après JC. Rome dirige et ses serviteurs font régner ses lois. Theodora, jeune vierge de confession chrétienne refuse d’aliéner sa foi au profit du dieu païen Jupiter. Pour punir son insoumission, le gouverneur Valens la condamne à la prostitution. Un verdict pire que la mort. Le jeune officier Didyme s’interroge sur le bien-fondé d’une telle sentence. Comment laisser libre, l’esprit humain né libre ? Il s’éprend de la jeune innocente, la rejoint dans sa croyance. Aidé par Septimus, son ami, centurion comme lui et comme lui épris de tolérance, il la fait évader de sa prison, y prend sa place. Mais les hommes de Valens, sa police militaire, les rattrapent tous deux, tous deux seront condamnés à mort. Une mort qui scelle leur passion amoureuse fondue dans la passion de leur foi. Haendel tisse le lien sacré qui mène du temporel au spirituel. Il plaide pour un monde d’ouverture à autrui, un univers où chacun cultiverait le respect de celui qui ne pense pas comme lui.

Au festival de Glyndebourne en 1996, le talentueux metteur en scène américain Peter Sellars avait réussi une transposition théâtrale de cette Theodora charnelle et mystique qui laissa des traces dans la mémoire de tous ceux qui y ont assisté. Le défi d’une nouvelle mise en scène, près de vingt ans plus tard, n’est donc pas mince, malgré la présence du même William Christie aux commandes musicales. Le Théâtre des Champs Elysées le relève, en fait une première française et en confie la réalisation à l’anglais Stephen Langridge. Qui l’exécute sans effets choc, ni transposition vers des ailleurs improbables.

Mysticisme rayonnant

Dans un décor de panneaux coulissants aux ocre de vieille pierre, sa Rome devient celle d’une Italie fascisante en uniforme vert de gris et tenues de soirée chic des années trente. Les lumières moirées de Fabrice Kebour les nimbe de mysticisme rayonnant. Au sol, des livres (bibles ? catéchismes ?) et des bougies sont manipulés dans une sorte de jeu de Monopoly, délimitant les actes et les espaces, les renvoyant à leurs cases départ. Ici l’âme défie l’épée.

Valens, auquel la jeune basse Callum Thorpe apporte une sorte de venin ravageur, est un apprenti despote surdoué d’intransigeances. Des gosiers étoilés se partagent les principaux rôles. En tête, le contre-ténor Philippe Jaroussky en Didyme fragile, presque transparent jouant sur la limpidité de sa tessiture. Il lui rajoute de belles zones d’ombre mais son absence de sensualité prive le héros de sa dimension charnelle, en banalise la passion amoureuse. De même, dans le rôle titre, Katherine Watson, soprano au charme lisse, semble rester en retrait des flammes passionnelles qui agitent et divisent l’héroïne. En revanche, la mezzo Stéphanie d’Oustrac s’investit de corps et de voix dans le rôle d’Irène, l’amie, la militante de la chrétienté. Elle en fait le porte-drapeau. Septimus, le soldat à l’esprit ouvert (porte-parole de Haendel ?), l’homme de la tolérance trouve en Kresimir Spicer, la nette clarté de timbre de ténor et la discrétion du jeu

Nuances pastel

Comme à Glyndebourne autrefois, William Christie se remet au service de cet Haendel rare qu’il affectionne. Souvenirs, souvenirs. Les musiciens des Arts Florissants ont pris la place de ceux de l’Orchestre de l’Age des Lumières. William Christie les entraîne dans ses sillages respectueux. Les premières mesures font espérer un rythme plus musclé, un peu swing peut-être, à la manière d’un René Jacobs, mais très vite les habitudes prennent le dessus, les nuances pastels si chères à Christie prennent le dessus et teintent de quelques petites longueurs les deux heures et vingt minutes.de musique (entrecoupées par deux entractes). Mention spéciale pour le Chœur des Arts Flo, où chaque choriste devient soliste, une voix, un personnage. La performance est rare.

Theodora, oratorio en 3 actes de Georg Friedrich Haendel, livret de Thomas Morell, orchestre et chœur Les Arts Florissants, direction William Christie, mise en scène Stephen Langridge, chorégraphie Philippe Giraudeau, scénographie et costumes Alison Chitty, lumières Patrice Kebour. Avec Katherine Watson, Stéphanie d’Oustrac, Philippe Jaroussky, Kresimir Spicer, Callum Thorpe, Sean Clayton.

Théâtre des Champs Elysées, les 10, 13, 16, 18 & 20 octobre à 19h30

01 49 52 50 50 – www.theatrechampselysees.fr

Diffusion en direct sur Arte le 16 octobre à 19h30
Diffusion en différé sur France Musique le 24 octobre à 19h

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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