Critique – Opéra – Classique

THE TURN OF THE SCREW de Benjamin Britten

La serrure hantée d’un Tour d’Écrou de l’inconscient

THE TURN OF THE SCREW de Benjamin Britten

Un homme en complet gris s’installe derrière un pupitre. C’est le Narrateur, le présentateur qui va décrire les prémisses de la très étrange histoire d’une gouvernante anglaise happée dans les mailles d’un filet où s’agrippent les fantômes d’êtres meurtris et malveillants. Sur la musique de Benjamin Britten (1913-1976), il raconte son arrivée dans ce manoir retiré en rase campagne et sa prise en charge de l’éducation de deux enfants isolés de tout, avec leur servante pour unique compagne. Son récit est illustré par un film. En noir et blanc, en gris.

Le gris dans toutes ses nuances et le recours aux images filmées et à la vidéo signent dès les premiers instants les partis de la mise en scène de Robert Carsen de cette œuvre sulfureuse sur fond d’abus d’enfants que Britten a doté d’une musique pudique, ciselée sur les mots. Carsen en restitue l’intense sobriété. En limpidité du déroulement, en simplicité d’effets il en accentue l’étrangeté et l’effroi …

L’histoire, inspirée d’une nouvelle d’Henry James, mort il y a tout juste un siècle, devait naturellement attirer l’amateur d’énigmes psychologiques qu’était Britten. Son Peter Grimes (1945) s’était déjà alimenté de mystères, et Billy Budd (1960) le sera plus tard. Chimères, irréalité, questions sans réponses, The Turn of the Screw/Le Tour d’Écrou, créé en 1954 à La Fenice de Venise, navigue en clairs obscurs entre deux mondes. Les dérives sexuelles en tapissent une invisible toile de fond. Britten l’aborde en modération, en fait un opéra de chambre pour quinze instrumentistes solistes et sept voix dont deux voix d’enfants.

Sa musique tourne le dos aux codes de l’atonalité qui à l’époque servait de bible. Britten s’imprègne plutôt de sonorités médiévales, il aime rendre hommage à son illustre prédécesseur Henry Purcell et surtout, dans sa musique vocale, parer la langue anglaise des couleurs de son île, de sa nature où soleil, nuages et pluies sont inextricablement mêlés.

Tableaux impressionnistes

Dans les décors, costumes et lumières qu’il signe lui-même (avec Luis Carvalho pour les premiers et Peter Van Praet pour les seconds), Carsen fait défiler les scènes en tableaux impressionnistes où apparaissent en silhouettes d’encre les deux morts qui n’en finissent pas de régler leurs comptes avec les vivants, Peter Quint, le domestique qui a entretenu des rapports troubles avec le garçonnet Miles, et miss Jessel, l’ancienne gouvernante, sa maîtresse, décédée dans des circonstances non élucidées. Leurs spectres harcellent la nouvelle venue, lui font voir un monde interdit où les êtres et les objets prennent des poses contre nature, comme ce lit vertical où l’on dort debout.

Emmenés par l’excellent Patrick Davin, entre rigueur absolue et rêves en envol, les 14 instrumentistes de l’Orchestre symphonique de Mulhouse donnent aux multiples ressorts de cette partition, les couleurs d’un suspens à la Hitchcock. En parfaite osmose avec les interprètes, la gouvernante d’abord naïve puis ensorcelée d’Heather Newhouse, soprano canadienne au timbre soyeux, à la diction impeccable et au jeu intérieur glissant comme sur un toboggan de l’innocence à la folie. La servante, Mrs Grose, est confiée à la vigilance et aux graves d’Anne Mason, mezzo-soprano anglaise qui lui confère une autorité maternelle aux abois. Double distribution pour les enfants, joués au soir de la première par le tout jeune Philippe Tsouli, 12 ans, ancien choriste ayant déjà rodé quelques rôles d’enfant notamment dans La Flûte Enchantée de Mozart. Son timbre tout de lumière enfantine a déjà du volume et son jeu la spontanéité réfléchie d’un futur homme de scène. D’une dizaine d’années son aînée, la toute jeune soprano Odile Henderer, formée dans la Maîtrise de l’OnR (Orchestre National du Rhin) se glisse en aisance vocale et de jeu dans la peau de Flora la grande sœur. Nikolai Schukoff passe du Narrateur du prologue à l’ombrageux Peter Quint, revenant revanchard et insaisissable puisant des graves assassins dans sa tessiture de ténor, tandis que Cheryl Barker soprano d’Australie, compose une Miss Jessel qui laisse errer regrets et nostalgie dans le monde des vivants qui fut le sien.

Ce Tour d’Ecrou est bel et hanté par les spectres de l’inconscient. La production salzbourgeoise (coproduite par le Theatre an der Wien) lui ouvre, en deux heures, les portes d’un fantastique en psychanalyse.

The Turn of the Screw de Benjamin Britten, livret de Myfanwy Piper d’après Henry James. Orchestre Symphonique de Mulhouse direction Patrick Davin, Maîtrise de l’Opéra National du Rhin, direction Luciano Bibiloni, Aurelius Sängerknaben Calw, direction Bernhardt Kugler, mise en scène, décors et costumes Robert Carsen (avec Luis Caevalho et Peter Van Praet), vidéo Finn Ross. Avec Nikolai Schukoff, Heater Newhouse, Anna Mason, Cheryl Barker, Philippe Tsouli (en alternance avec Lucien Meyer), Odile Hinderer (en alternance avec Silvia Paysais) .

Opéra National du Rhin
A Strasbourg Opéra, les 21, 23, 27, 30 septembre à 20h, le 25 à 15h
0825 84 14 84 (caisse@onr.fr)
A Mulhouse, La Filature le 7 octobre à 20h, le 9 octobre à 15h
03 89 36 28 28 (billetterie@lafilature.org)

Photos Klara Beck

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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