Festival d’Avignon 65e édition
Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci
Hommes sans Dieu
Ce spectacle est une énigme. Puissante, troublante, dérangeante. Avec cette mise en scène au titre tellement étrange, Romeo Castellucci nous met en face de la condition humaine, dans toute sa nudité. Ce parti pris peut heurter, se révéler même insupportable soulevant l’éternelle question du réalisme le plus cru. A chacun de fixer ses propres limites. Faut-il tout montrer au théâtre ? Oui, dès lors qu’ici, la frontière du mauvais goût n’est pas franchie. Pas de complaisance, non plus. Pourquoi faudrait-il cacher les entrailles de l’homme si l’on cherche à le comprendre ?
Après Purgatorio, présenté à Avignon en 2008, le metteur en scène italien prolonge cette réflexion fondamentale. Là encore, un père et un fils dans un décor d’intérieur moderne plutôt aisé qui tisse un lien entre les deux spectacles. Dans Purgatorio, le père entretenait un rapport trouble, entre affection et domination criminelle, sur son jeune fils, sans que le metteur en scène ne mette un terme à l’interrogation du spectateur. Ici, le fils devient à proprement parler le père de son père, un homme atteint par la vieillesse et la déchéance au point de se souiller. Le vieil homme humilié est pris en charge par son fils qui le nettoie, comme on vient en aide à un enfant qui n’est pas encore propre. L’épreuve, accompagnée d’une odeur pestilentielle qui se répand dans la salle, parmi le public, se répète à deux reprises, sous le regard d’un immense Christ –celui d’Antonello de Messine, dont le visage aux traits fins barre le fond de scène. Malgré la colère et le découragement, le fils aime toujours son père. Mais le père pleure seul sur son lit, déchiré par la douleur et la honte. « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? », disait le Christ sur la croix. Ici, ce serait plutôt : « Fils, pourquoi m’abandonnes-tu ? »
C’est le cri de l’humanité tout entière que Castellucci fait entendre, sans que l’on sache bien à qui il s’adresse. Sans doute à ce fils de Dieu. « Tu n’es pas mon berger » est-il inscrit à la fin du spectacle. Castellucci scelle-t-il la question de la foi ? Pas si sûr. Mais à quoi l’homme peut-il se raccrocher ? Peut-être à l’affection que déploie le fils à l’égard de son père, sans que cela n’efface sa solitude. Sentiment déchirant qui renvoie chacun à lui-même. C’est le propre des grandes œuvres.
Sur le concept du visage du fils de Dieu. Conception et lumière : Romeo Castellucci. Musique Scott Gibbons. Conception et réalisation des objets Istvan Zimmermann, Giovanna Amoroso. Avec Gianni Plazzi, Sergio Scarlatella et les enfants. Durée : 1 h.
A Paris, au Théâtre de la Ville du 20 au 30 octobre 2011, puis au 104 du 2 au 4 novembre 2011.
Photo Klaus Lefebvre