Spéculum de Biard, Grimaud et Sahuquet
Les Rouletabille de la gynéco
Attention, Spéculum n’est pas une variation sur les fameux Monologues du vagin. On n’est plus là dans la ludique célébration anatomique qu’est la pièce d’Eve Ensler, mais en pleine enquête gynécologique. Ou plutôt dans ce que la gynécologie révèle de l’état de la société et de la médecine face aux femmes lorsqu’on prend le risque de mettre en lumière ce sujet et cette pratique volontiers tabous. Trois actrices-auteures, Delphine Biard, Flore Grimaud et Caroline Sahuquet, ont décidé de briser la vitre, de passer de l’autre côté de la prudence en effectuant une véritable enquête. A partir des éléments recueillis, elles ont composé un spectacle en forme de mosaïque où les récits, les propos, les anecdotes, les pensées se répondent dans un désordre savant et au gré d’une fantaisie bondissante qui s’amuse à masque le sérieux de l’entreprise.
Simone Veil et surtout Benoîte Groult sont les références admirées de nos trois Rouletabille de la gynéco. Mais, au-delà des prises de position et des faits d’histoire, la moisson récolte surtout des expériences et des déclarations dont on n’a guère fait état ailleurs : affirmations de praticiens mâles peu soucieux des souffrances de leur clientèle, confidences de sages-femmes mal à l’aise dans un système qui les pousse vers la marge, récits de patientes autour d’un accouchement et de la pose d’un stérilet, séances chez le médecin, extraits d’interventions de caractère judiciaire, choses entendues à la télévision ou lues dans la presse… Pas de repli sur un point de vue purement occidental : les femmes musulmanes et des femmes de culture africaine ont pu faire évoluer le comportement face à la question de l’intimité et de la pudeur.
Spéculum ne passionnera pas tous les publics. C’est du théâtre-journalisme plutôt conçu pour les femmes mais dont les hommes auraient tort de s’abstraire. Dans un décor qui s’embouteille comme un bric-à-brac, tout paraît improvisé, chacune des interprètes s’emparant de la parole comme dans un jeu ou une conversation au feu nourri. Flore Grimaud a une présence grave, intense, élégante et songeuse. Caroline Sahuquet évolue souplement d’une phase à l’autre dans l’examen serré des pièces du dossier, Delphine Biard se plaît à être le charmant cancre de la classe. Elles jonglent, libres et légères, avec ce qu’elles ont mis deux ans à réunir, comme si l’espièglerie était la meilleure façon de traiter des choses difficiles. Elles ont sans doute raison puisqu’on ne les quitte pas des yeux dans cet exercice particulier où l’ironie bienveillante l’emporte sur la colère.
Spéculum de et avec Delphine Biard (en alternance avec Mia Demae), Flore Grimaud et Caroline Sahuquet.
Manufacture des Abbesses, 19 h du mercredi au samedi, tél. :01 42 33 42 03. Les jeudis, vendredis, samedis 19h (Relâches sam. 12 sept. et sam. 3 oct.) (Durée : 1 h 15).
Photo Jean-Luc Maridet.