Schubert-Schumann : les symphonies (1)

Christophe Rousset nous fait entendre l’intégrale des symphonies de Schubert, Daniele Gatti celle des symphonies de Schumann.

Schubert-Schumann : les symphonies (1)

ON PEUT LIRE, À L’ENTRÉE « SYMPHONIE » d’une encyclopédie célèbre : « Les successeurs de Beethoven, ne pouvant faire mieux, cherchent à faire autrement. » Schubert et Schumann, à quelques décennies de distance, font partie de ces compositeurs qui eurent à illustrer la grande forme à l’ombre de l’intimidant Ludwig. Ne nous laissons pas berner cependant par la chronologie, ne confondons pas Franz et Robert, qui l’un et l’autre surent trouver leur chemin. Et n’oublions pas que le manuscrit de la Neuvième de Schubert fut découvert par Schumann, chef d’orchestre toutefois peu assuré, qui préféra laisser à Mendelssohn le soin de donner la première audition de l’œuvre, en 1839, au Gewandhaus de Leipzig. Schubert était mort depuis plus de dix ans.

D’une certaine manière, Schubert fut le contemporain de Beethoven. Né en 1797, il compose ses six premières symphonies de 1813 à 1818. C’est l’époque où l’auteur de Fidelio s’accorde quelques années de réflexion entre sa propre Huitième (composée en 1812) et son ultime Neuvième (créée en 1824). Schubert se lance alors qu’il n’a que seize ans, cependant que Beethoven a attendu la trentaine avant d’aborder sa première symphonie. Compositeur prodigue mais inquiet, par ailleurs peu sensible aux trompettes de la renommée, Schubert a laissé un grand nombre de partitions inachevées dans tous les genres. Si l’on ne tient compte que des symphonies auxquelles il a réellement mis un point final, on en compte huit – la symphonie dite « Inachevée » (1822), de par la perfection de ses deux seuls mouvements, comptant paradoxalement parmi celles-ci.

Combien de symphonies ?

Se pose aussi la question de la numérotation. Si tout est limpide de la Première à la Sixième, la tradition fait que l’« Inachevée » porte le numéro 8 et la Symphonie en ut majeur dite « La Grande » (la Sixième, dans la même tonalité, est parfois appelée « Petite ») le numéro 9. Mais la première édition de l’intégrale des symphonies de Schubert par Harnoncourt, avec le Concertgebouw d’Amsterdam (Teldec), leur attribue les numéros 7 et 8*. Plus audacieux, l’enregistrement de Neville Marriner (Philips) annonce « Les dix symphonies »… auxquelles sont encore ajoutés deux « Fragments symphoniques » : le musicologue Brian Newbould est passé par là !

Au Châtelet où l’on a plaisir à se retrouver (avec l’impatience que ce magnifique théâtre, restauré avec soin, retrouve une politique artistique digne de son histoire sous la direction d’Olivier Py), Christophe Rousset s’en tient aux huit symphonies achevées par Schubert. Avec ses Talens lyriques, formation qui a beaucoup joué de musique baroque française (mais aussi des opéras comme La Vestale de Spontini), il en présente une intégrale en trois concerts qui bousculent un peu la succession linéaire des œuvres, ce qui évite de guetter une prétendue évolution dans la manière du compositeur.

C’est ainsi que la Première Symphonie ouvre le deuxième de ces rendez-vous**. Elle le fait ici d’une manière étonnamment martiale : cette partition est bien sûr encore l’héritière de Haydn, et il suffit de deux trompettes et de timbales autoritaires pour lui donner des couleurs tranchées. La Troisième est abordée avec davantage de souplesse, les bois ont quelque chose de très fruité, de pimpant, mais on aimerait un peu plus d’abandon dans la valse qui se trouve au cœur du Menuetto. Le charme viennois est peut-être une trompeuse griserie ou une illusion, mais la précision de la mise en place et le charme, précisément, des instruments historiques, ne font pas tout.

Du moelleux tout à coup

Avec la Symphonie « Inachevée », deux jours plus tard, les choses changent. Christophe Rousset installe une tension sans raideur, l’apport des trombones n’ajoutant rien de claironnant, au contraire, aux couleurs de l’orchestre. Les Talens lyriques sont tout à coup moelleux, avec des basses profondes et un équilibre qui tend vers le noir. Le tout reste sobre cependant, les visions d’épouvante qu’on pourrait attendre restent du domaine de l’intention. Christophe Rousset se concentre sur la forme, il ne cherche pas le drame. Parti pris qui peut se justifier si l’on part du principe qu’une symphonie est d’abord un jeu de thèmes et d’harmonies.

Deux jours plus tard encore, le dernier des trois concerts s’ouvre par une Cinquième Symphonie conçue d’une manière on ne peut plus intime par Schubert lui-même : ni trompettes, ni trombones, ni timbales, mais deux cors et cinq bois (une seule flûte, aucune clarinette) renouent avec une veine mozartienne qui fait de cette œuvre l’une des plus séduisantes de son auteur. Christophe Rousset en donne une interprétation aérée et signe là l’un des meilleurs moments de son intégrale : s’il est arrivé à Schubert via la musique baroque et non pas après avoir dirigé Brahms ou Tchaïkovski, il en donne ici la preuve, tant nous sommes encore avec lui dans une espèce de XVIIIe siècle riant.

Vient l’ultime Symphonie n° 9 « La Grande », qui rompt bien sûr avec la concision de la Cinquième. C’est tout à coup l’aventure de la grande forme, ne fût-ce que l’ampleur des développements que s’autorise le compositeur. L’effectif des cordes n’est pas augmenté (sept premiers violons, trois contrebasses) malgré l’arrivée des cuivres et de tous les bois par deux. L’atmosphère s’installe peu à peu dans le premier mouvement, abordé par Christophe Rousset avec rigueur, certes, mais sans ce supplément de grâce qui rendrait cette musique encore plus frémissante. Au fil des trois mouvements qui suivent, les couleurs s’affirment, le hautbois fait merveille dans le deuxième, où Schubert a prévu une espèce de crescendo angoissé aboutissant à une catastrophe (au sens grec), une chute harmonique comme il y en a par exemple dans l’Adagio de la Dixième de Mahler, et que Christophe Rousset ne cherche pas à noircir outre mesure. Le tout s’achève dans l’euphorie, comme la partition le prévoit, mais avec un reste de raideur qu’on aurait aimé voir gommé au profit d’une fantaisie qui s’est fait un peu trop attendre.

Illustration : Franz Schubert et Robert Schumann (dr)

* Une édition ultérieure du même enregistrement restitue la numérotation traditionnelle !
** Nous avons assisté au deuxième et au troisième concerts de ce cycle.

Schubert : intégrale des symphonies. Les Talens lyriques, dir. Christophe Rousset. Théâtre du Châtelet, vendredi 27, dimanche 29 et mardi 31 janvier 2023.
Schumann : intégrale des symphonies. Orchestre national de France, dir. Daniele Gatti. Auditorium de Radio France, jeudi 26 janvier et mercredi 1er février 2023.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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