Polska rue de Madrid
À l’occasion du centenaire du retour de la Pologne à l’indépendance, l’Orchestre des jeunes d’Île-de-France offre un généreux concert dans l’auditorium du CRR de Paris.
LES SALLES DE CONCERT SONT MAINTENANT nombreuses dans Paris, même si certaines semblent sous-employées ou en partie détournées de leur fonction première : la très belle salle néo-pompéienne sise au 2bis, rue du Conservatoire (devenu le théâtre du Conservatoire d’art dramatique*), par exemple. Mais il existe aussi des salles aux qualités méconnues, qui n’ont pas pour vocation de proposer de vraies saisons musicales mais où l’on est heureux d’aller entendre telle ou telle formation privée de vrai port d’attache. Tel est l’auditorium Marcel Landowski de l’établissement qu’on appelle désormais Conservatoire à rayonnement régional de Paris, installé 14, rue de Madrid, non loin de la gare Saint-Lazare. Cet auditorium est modeste par sa taille (quelques centaines de places), et c’est précisément ce qui en fait son prix : la musique s’y entend de près, l’acoustique y est claire, peu réverbérée, donc impitoyable, c’est-à-dire favorable aux meilleures formations.
C’est le constat qu’on a pu faire en assistant au concert donné par l’Orchestre des jeunes d’Île-de-France (Ojif), formation conçue comme un tremplin pour les jeunes musiciens professionnels et qui peut prendre la forme d’un orchestre symphonique, d’un ensemble baroque ou de musique de chambre, etc. Le 7 avril, c’est la parure symphonique qu’avait revêtue l’Ojif à la faveur d’un concert intitulé « Polska », donné dans le cadre des célébrations du centenaire du retour de la Pologne à son intégrité territoriale (on sait que de 1795 à 1918 en effet, la Pologne fut partagée entre ses voisins et n’exista plus en tant qu’État indépendant). Au programme : des partitions de compositeurs polonais, bien sûr, et pour commencer un Tombeau de Chopin pour orchestre à cordes, commandé par l’Unesco en 1949 à Alexandre Tansman pour les cent ans de la mort de Chopin. On est loin ici des chatoyances du Tombeau de Couperin de Ravel, mais le Postlude final, après un mystérieux Nocturne et une Mazurka inquiétante, a l’allure énigmatique et tendre à la fois d’une berceuse.
Folie raisonnée
Nathanaël Gouin se joint ensuite à l’orchestre pour interpréter le Deuxième Concerto en fa mineur de Chopin sur un Pleyel de 1892 : instrument à la sonorité un peu mate, mais admirablement conservé et restauré, et qui sonne dans un parfait équilibre avec l’orchestre. On peut trouver discrète la partie réservée par Chopin à l’orchestre, mais c’est précisément dans cette fausse facilité qu’il faut également admirer l’Ojif, capable de donner de la présence et de la légèreté à une écriture évanescente faite avant tout de longues tenues aux cordes. Dans le Dix-septième Nocturne op. 62 n° 1, donné en bis, Nathanaël Gouin fait preuve des mêmes qualités de legato qui rendent cette page assez sombre comme un chant d’une rigueur sans raideur.
On retrouve les cordes seules avec Orawa de Wojcieh Kilar (1932-2013), pièce minimaliste qui tire son nom d’une rivière des Tatras. Dès les premières mesures, le dialogue entre le premier violon et deux seconds violons produit un surprenant effet d’espace (sachant que les instruments ont été intelligemment disposés, avec les violons I et II de part et d’autre du chef) auquel succédera tout un ensemble de combinaisons convoquant tantôt un pupitre, tantôt deux, tantôt l’ensemble des cordes, avec des effets de dynamique, des jeux de rythme, des accélérations qui font d’une danse folklorique un spectaculaire moment de virtuosité collective. Il y a là, sous la baguette de David Molard, quelque chose comme une fougue réglée, comme aurait dit Berlioz, on ne peut plus exaltante.
Rien ne permet de faire mieux entendre les qualités d’un orchestre qu’un concerto pour orchestre : l’Ojif aurait pu jouer celui de Bartok mais, Pologne oblige, c’est celui de Lutoslawski qui est logiquement choisi. Avec ses cinq trompettes, ses cinq cors, ses percussions, son piano (qui n’est plus le Pleyel de tout à l’heure), l’orchestre montre les limites acoustiques de la salle, qui transforme presque la musique en bruit dans certains tutti. Mais la perfection technique des instrumentistes, leur cohésion, leur enthousiasme (toutes qualités, il est vrai, qu’on rencontre dans la plupart des orchestres composés de jeunes musiciens), font merveille. Et le mélange de chaleur et d’exigence avec lesquels David Molard les conduit, permet à l’Ojif d’achever avec éclat la brillante démonstration d’orchestre que représente ce concert.
* On l’appelle parfois « premier Conservatoire ».
Illustration : David Mollard par Matthieu Joffres.
« Polska » : œuvres de Tansman, Chopin, Kilar et Lutoslawski. Nathanaël Gouin, piano ; Orchestre des jeunes d’Île-de-France, dir. David Molard. Conservatoire à rayonnement régional de Paris, 7 avril 2019.
Prochain rendez-vous avec l’Ojif : le 9 juillet au Conservatoire de Clichy-la-Garenne (en formation baroque, sous la direction de Christophe Dilys).