paris, théâtre de Paris
Pan d’Irina Brook d’après James Mattew Barrie
Une histoire qui s’envole
Aussitôt apparaissent les objets et les figures qui entourent Peter Pan dans nos souvenirs et dans nos images : un voilier à quai, des échelles de corde, des cordages, un ponton, un canot, une île, le crochet du capitaine du même nom, le crocodile qui bruisse du tic-tac du réveil qu’il a avalé… On a même un peu peur d’être en présence d’un bon gros spectacle bourré d’effets prévisibles et de peluches rigolardes empruntés à l’empire Disney.
Les réticences tombent quand les acteurs et musiciens se lancent dans des conversations blagueuses à l’avant-scène : on n’est pas dans le produit calibré mais dans la comédie où la musique, les gestes, les danses et les acrobaties se moquent des règles du genre en les dépassant. Si, dans la discipline militaire des shows, aucun col ne doit être froissé, les interprètes de Peter Pan sont plutôt du côté des comédiens en liberté qui, dans la discipline obligatoire, trouvent le plaisir et la liberté. Ils sont à la fois dans l’histoire inventée par J. M. Barrie et au dehors. Ou plutôt dans une sorte de conte-hommage où tous les coups – tous les goûts – sont permis. Tant pis pour qui chercherait une exacte fidélité. L’histoire s’envole dans tous les sens, comme Peter Pan.
Tout est un long flash-back. Wendy, qui ouvre le spectacle, parle avec sa fille du temps heureux de son enfance en compagnie de Peter Pan. Hé oui, Wendy est devenu une mère réelle, alors qu’elle était la mère imaginaire de toute la bande. Voilà, en remontant dans le passé, l’équipe des Lost Boys qui évolue autour de Peter Pan, l’enfant qui vole, et se demande s’il faut accepter l’âge et le travail. Seul, Peter Pan restera fidèle à son idéal de ne pas grandir. De toute façon, ils n’ont pas beaucoup le temps de discuter. En leur île de Jamais (Neverland), la tranquillité n’est guère de mise avec les attaques sournoises du capitaine Crochet et les alertes données par la fée Clochette. Sauf qu’on ne parle pas de ces deux-là autrement que dans leur nom d’origine : Capitaine Hook et Tinker Bell. Cela change un peu les habitudes. L’on est très loin de la version doublée du dessin animé de Walt Disney. Irina Brook nous plonge un peu dans l’anglais, langue dans laquelle sont écrites les chansons.
Le jeune acteur qui joue Peter Pan, Louison Lelarge, fait des exploits suspendu à des fils, enfant-oiseau volant des cintres jusqu’au mât du bateau ; il est surtout sensible et attachant, il porte le rôle central avec élégance et une fragilité rêveuse. Johanna Hilaire est une savoureuse fée volante, musclée, ronde, s’amusant de ne pas être le haricot filiforme de l’imagerie traditionnelle. Babet incarne Wendy avec plus d’aisance dans le chant que dans la parole, mais c’est une grande chanteuse. George Corraface est un capitaine Crochet (pardon un capitaine Hook) d’une savoureuse méchanceté de cartoon. Parmi les Lost Boys, il y a les très plaisants jumeaux black, Kehinde et Taiwo Awaiye, et l’incroyable Nuno Roque dont le corps dégingandé danse les mouvements les plus insensés (une révélation ! ) : ah ! la scène où tous les enfants perdus dansent en chemise de nuit ! Les jeunes spectateurs devraient y retrouver leurs repères mais, disons-le, peu à peu, le spectacle perd sa ligne romanesque et devient par moments, rythmé par une partition mi-tendre mi-rieuse de Saddie Jemmett, une revue ébouriffante. Irina Brook réalise brillamment un rêve d’enfance dont le temps a gommé l’innocence. Aussi nous les grands, qui acceptons parfois de grandir, aimons-nous ce Peter Pan.
Pan d’après la pièce de James Mattew Barrie, adaptation d’Irina Brook avec la complicité de Laurent Courtin, mise en scène d’Irina Brook, création musicale de Sadie Jemmett, mixage de John Mc Burnie, chorégraphie de Farid Ayelem Rahmouni, décor de Noëlle Ginefri, lumières d’Arnaud Jung, costumes de Magali Castellan, marionnettes de Steffie Bayer, avec Diego Asensio, Kehinde Awaiye, Babet, Lorie Baghdassarian, Georges Corafface, Johanna Hilaire, Raphaël Leguillon, Louison Lelarge, Dimitri Lemaire, Yanic Ourega, Nuno Roque, Gen Shimaoka, Pedro Teixeira. Théâtre de Paris, tél. : 01 48 74 25 37
Site web : http://www.theatredeparis.com/ (durée : 1 h 45). Texte à L’Avant-Scène Théâtre.
© Patrick Lazic