Messe, Mozart, Norrington

Sir Roger Norrington dirige à Notre-Dame de Paris l’une des plus belles pages de musique sacrée de tous les temps : la Messe en ut mineur de Mozart.

Messe, Mozart, Norrington

Le Requiem de Mozart est une partition d’une ineffable douleur, mais il y a des inspirations plus belles encore dans la mystérieuse Messe en ut mineur laissée inachevée quoiqu’elle ait été jouée à l’abbaye bénédictine de Saint-Pierre de Salzbourg le 26 octobre 1783. Inachevée, vraiment ? Comment Mozart, qui composait là une œuvre marquée du sceau de l’amour qu’il portait à sa fiancée Constance (laquelle allait chanter la première partie de soprano solo), a-t-il pu donner à entendre une messe privée de son « Agnus Dei » ? Oui mais dans l’hypothèse où la messe eût été entièrement écrite, qu’est devenu ce mouvement final ? Et pourquoi le « Credo » nous est-il parvenu tronqué d’une partie de son instrumentation et de sa fin ?

De nombreux musicologues se sont penchés sur le destin de cette messe, le chef d’orchestre Louis Langrée en a proposé sa propre version*, mais à Notre-Dame, Sir Roger Norrington a choisi de diriger l’édition de Robert D. Levin (créée le 15 janvier 2005 au Carnegie Hall de New York) qui propose notamment un « Agnus Dei » riche de sève mais trop plein de santé, peut-être, et peu en rapport avec la vigueur ailée de tout ce qui précède.

Il n’empêche : sous la baguette de Norrington, la sublime partition prend toute sa grandeur, sa respiration, son élan. Les obsessions du chef anglais font ici merveille et l’Orchestre de chambre de Paris lui répond avec bonheur : phrasé très articulé, refus du vibrato sauf à certains moments et à des fins expressives, contrastes dynamiques, tout est fait pour constamment relancer le drame, pour faire surgir la supplication ou la plainte des plages les plus contemplatives.

Douleur et béatitude

Grâce à l’engagement de la Maîtrise Notre-Dame de Paris (judicieusement augmentée de voix d’enfants qui doublent les sopranos du chœur), le prodigieux « Qui tollis » est un moment de douleur surhumaine, dissonances et sforzandos par poignées, supplication quasi-muette et déploration furieuse télescopées, comme si l’humanité concevait avec stupeur qu’elle est à jamais enchaînée à la terre. La fugue du « Cum Sancto Spiritu », elle, conjugue la science à l’enthousiasme. Et au moment de l’« Et incarnatus est », la première soprano solo quitte l’avant-scène et vient former, au cœur de l’orchestre, un quatuor pastoral idéal en compagnie de la flûte, du hautbois et du basson que vient discrètement soutenir une contrebasse qui sonne comme un instrument surgi des temps archaïques. On est alors en pleine béatitude, en plein récit biblique.

Le ténor solo (Pascal Charbonneau) et la basse solo (Peter Harvey) interviennent peu dans cette messe, Mozart a en revanche magnifié les deux voix de soprano qui interviennent presque constamment. Christina Landshamer n’est que présence et sobriété, mais son « Et incarnatus est » mériterait peut-être un peu plus d’émerveillement. Ingeborg Gillebo (qui remplaçait Jennifer Larmore, curieusement annoncée alors qu’il s’agit d’un mezzo tout à fait hors de propos ici) chante avec davantage d’effusion, le sourire épanoui ; son « Laudamus te » devient un air d’opéra plein d’une lumière amoureuse, mais toutes ses vocalises ne sont pas irréprochables.

Ce sont là réserves mineures cependant, tant les solistes, le chœur et l’orchestre, sous la direction d’un chef qui fait partie de ceux qui ont extrêmement apporté à l’histoire de l’interprétation, ces dernières décennies, servent autant l’architecture de la musique que sa couleur et sa puissance méditative. On a hâte de retrouver Sir Roger à l’occasion de L’Italiana in Algeri de Rossini (digne héritier de Mozart !), le 10 juin au Théâtre des Champs-Élysées, avec le même Orchestre de chambre de Paris qui a bien raison d’en avoir fait son premier chef invité.

*Magnifiquement enregistrée avec Le Concert d’Astrée (1 CD Virgin Classics).

Illustration : Mozart peint par Joseph Lange à l’époque de la Messe en ut (dr)

Mozart : Messe en ut mineur K 427. Christina Landshamer (soprano), Ingeborg Gillebo (soprano), Pascal Charbonneau (ténor), Peter Harvey (basse), Maîtrise Notre-Dame de Paris, Orchestre de chambre de Paris, dir. Sir Roger Norrington. Cathédrale Notre-Dame de Paris, 23 mai (www.orchestredechambredeparis.com, www.musique-sacree-notredamedeparis.fr).

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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