Critiques – Opéra & Classique

Lohengrin de Richard Wagner

Quand le Cygne du saint Graal débarque Jonas Kaufmann à l’Opéra Bastille…

Lohengrin de Richard Wagner

Il y avait longtemps que le cygne du saint Graal n’avait plus accosté les rives de l’Opéra national de Paris. La dernière fois remonte à 2007 avec la reprise d’une production qui avait déjà 11 ans d’âge (voir WB 1166 du 25 mai 2007). Le légendaire volatile y largue enfin à nouveau les amarres avec cette fois une réalisation signée Claus Guth créée à la Scala de Milan il y a cinq ans. Et surtout il y débarque le plus célèbre des ténorissimos d’aujourd’hui, Jonas Kaufmann, star adulée du lyrique par des cohortes de fans à la manière des vedettes du music-hall.

Des problèmes de cordes vocales l’avaient forcé à garder le silence durant plusieurs mois. Des annulations se sont enchaînées. Allait-il tenir l’engagement Lohengrin qu’il avait si magnifiquement chanté à Milan ? Il l’a tenu, impeccable, émouvant et a fait bien des heureux…

La mise en scène de Claus Guth tourne le dos aux clichés. Il transpose l’action au siècle de Wagner, comme Patrice Chéreau l’avait fait pour la première fois avec son inoubliable Ring. Il met Lohengrin sous psychanalyse renvoyant au subconscient le cygne et les attributs qui l’accompagnent. Des galeries superposées, percées de portes et ceintes de couloirs servent de fond de décor unique et permettent au chœur d’encadrer les actions en situation. Le style et les costumes noirs et blancs évoquent une bourgeoisie aisée du XIXème siècle allemand. L’espace central varie d’acte en acte, avec des accessoires et mobiliers divers : pour le premier un arbre unique, pour le dernier un marécage mangé de broussailles où les amoureux malheureux noieront leur éphémère passion. Les symboles servent de guide au décryptage : le cygne est représenté par un adolescent portant à bout de bras une aile déployée, des enfants se meuvent en doubles d’Elsa et de son chevalier, un piano s’insère dans chaque acte. Il finit renversé.

Chevalier paumé, héros errant...

Pour Guth, Lohengrin, fils de Parsifal, expédié chez les mortels – la gens ordinaire – pour sauver Elsa de Brabant accusée à tort du meurtre de son frère, est en quelque sorte l’ombre ou le clone de ce frère disparu. Chevalier paumé, héros errant mal dans sa peau, il s’éprend d’Elsa et ne résiste pas à sa fatale demande d’identité… Kaufmann en fait un vieil adolescent, un naïf au cœur trop grand, un voyageur sans autre bagage que sa foi. Il le joue de bout en bout avec une grâce en point d’interrogation, une fragilité parfaitement contrôlée. Il le chante tout en retenue durant les deux premiers actes, économisant prudemment la projection de sa voix qui soudain paraît pâle surtout lorsqu’elle se trouve associée dans une même scène à celle, lumineuse, éclatante de haine de Tomasz Konieczny, le virulent interprète de Telramund. On frôle la déception. Finesse, justesse restent cependant au rendez-vous.

Enfin arrive l’acte trois, celui où Lohengrin enfin s’exprime, et Kaufmann, comme sous le coup d’une baguette magique, retrouve toute la palette des couleurs et des velours qui jusqu’ici ont fait sa gloire. Quand s’élève le très attendu « In fernem Land », le cristal de sa voix, sa douceur et sa mélancolie en demi-teintes suspendent les respirations dans la salle. L’homme et sa voix restent exceptionnels.
Martina Serafin, longue robe blanche et blonde chevelure dénouée est une Elsa à la voix claire mais à la présence rien absente. Ortrud, la perverse, la conspiratrice trouve en Evelyn Herlitzius la parfaite réplique d’un être sans foi ni loi, au jeu rageur et au timbre éclatant de violence. René Pape a conservé intacts ses graves pour doter de noblesse et d’autorité Heinrich, le royal oiseleur.

Mais c’est de la fosse que monte toute la magie de la musique de Wagner. Philippe Jordan en est le mandataire attentif, laissant l’orchestre respirer large, passer sans précipitation de la tendresse à la haine, et, suspendre le temps en silences éloquents. Il est la clé et l’âme de cette belle production importée d’Italie.

Lohengrin, musique et livret de Richard Wagner, orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris, direction Philippe Jordan, chef des chœurs José Luis Basso, mise en scène Claus Guth, décors et costumes Christian Schmidt, lumières Olaf Winter, chorégraphie Volker Michl. Avec Jonas Kaufmann (et Stuart Skelton) René Pape (et Rafal Siwek.) Martina Serafin (et Edith Halter) Tomasz Konieczny (et Wolfgang Koch) Evelyn Herlitzius (et Michaela Schuster) Egils Silins, Hyun-Jong Roh, Cyrille Lovighi, Laurent Laberdesque, Julien Joguet.

Production du Teatro alla Scala de Milan

Opéra Bastille, les 18, 21, 24,27, 30 janvier, 2, 8, 11, 15, 18 février à 19h, le 5 février à 14h.

08 92 89 90 90 - +33 1 71 25 24 23 – www.operadeparis.fr

Photos : Opéra national de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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