Liberté à Brême de Rainer Maria Fassbinder

Une femme émancipée, une Barbe-Bleue féministe.

Liberté à Brême de Rainer Maria Fassbinder

Liberté à Brême est le portrait d’une femme du XIX è siècle, soumise à la seule loi des hommes. La pièce prophétique de Fassbinder – annonciatrice du problème aigu et cinglant que soulève encore et toujours la condition féminine aujourd’hui -, raconte l’aventure d’une femme serial killer, tyrannisée et humiliée par son mari et la société.

Guillaume Cantillon, qui incarne le premier époux, n’y va pas par quatre chemins – magistral mari hurleur, odieux au possible, réduisant Geesche à une femme servile.
Il crie et ordonne : « Schnaps ! Café ! », et l’épouse obéit et sert le tyran domestique.

Tête baissée d’abord, tenue droite et rigide, Geesche – rôle que porte la comédienne Valérie Dréville -, semble écouter l’oppression subie, sans nulle révolte, si ce n’est qu’elle ose exprimer, en ces temps de morale exacerbée d’une société inégalitaire et patriarcale, la force de son désir pour son mari : « Je veux coucher avec toi. »

Une telle audace fait qu’elle sera frappée par la veste de l’homme qui réduit à néant cette velléité émancipatrice, cette aspiration à la liberté et à la conscience de soi : les gestes humiliants du mâle sont hyperboliques, provoquant le malaise et l’indignation.

Le mari meurt, et un second le remplace – celui qu’elle a toujours aimé en son for intérieur – qui l’aime, et la seconde dans les affaires ; Gérard Watkins apporte un souffle d’humanité, si ce n’est de délicatesse à l’atmosphère tendue et confite.

Mais celui qui se révèle traître pense s’éloigner un jour pour trouver une compagne plus simple ou passive, moins exigeante que Geesche, trop « intelligente » ou libre.
Les compagnons se succèdent régulièrement et disparaissent chacun leur tour, une malédiction dont les clés sont tenues par cette Barbe-Bleue féminine insoupçonnée.

La morale parentale est par ailleurs une puissance oppressive dont on ne se détourne pas si aisément, morale sous-tendue par la religion luthérienne et calviniste du XIX è siècle dans les milieux bourgeois et aisés de la ville de Brême.
Son père et sa mère, son frère, ses proches, jugent Geesche inapte à vivre seule, plus incapable encore à diriger ses affaires, le négoce étant un métier d’homme.
Une femme ne doit pas travailler mais rester au foyer auprès de ses enfants, l’entrepreneuse a eu quatre enfants de son premier mariage, dont deux – des filles – disparaîtront étrangement, elles aussi, échappant ainsi à un destin féminin.

Christian Drillaud dans le rôle du père joue les austères au possible, de même Nathalie Kousnetzoff dans celui de la mère, puis de celui l’amie. Le frère que joue Gaël Baron voulait endosser le rôle de protecteur qui sera bientôt mis à bas aussi.

Adrien Michaux et François Tizon jouent des types masculins traditionnels justes.

Tous sont appelés à connaître une même fin fatale qui ouvre à plus d’autonomie pour Geesche. Valérie Dréville, pour l’anti-héroïne – elle ne peut être nommée héroïne dans cette faculté à distribuer si mécaniquement la mort -, est une figure de marionnette d’une danse macabre de fresque tardive, accompagnée du Malin.

Elle porte la révolte secrète, silencieuse, longuement mûrie de celle qui s’oppose à un environnement social hostile. Selon Yann Lardeau, dans son Rainer Maria Fassbinder, la protagoniste est une femme résolue qui ne craint pas de se mettre hors la loi, de tuer pour garder son indépendance, insurgée contre les conventions et préjugés de son époque, et voir ainsi croître sa fortune en supprimant les obstacles.
Les empoisonnements immédiats ou patients à l’arsenic ont ouvert cette femme manipulée puis manipulatrice au goût de la liberté dont elle n’a pu se démettre.

Ne renonçant à nulle des jouissances de la vie, disposée à nul sacrifice, elle est prête à paraître devant Dieu et à renoncer à la vie même. Posture de radicalité.
La fresque du scénographe Mathieu Lorry-Dupuy sur le mur de lointain est éloquente et significative – des dessins et des esquisses enfantines mythiques : trône, en son centre, un Christ en Croix, avec alentour les figures du Bien et du Mal, la Vierge à l’Enfant …

Geesche s’agenouille devant le Christ à maintes reprises, et les lumières de Marie-Chrsitine Soma accentuent tel détail, et tel autre, selon les aléas contrastés du récit.

La comédienne, résistante aux violences que le rôle lui impose, les assimile physiquement en même temps, pour mieux en retourner l’agressivité contre les autres voire contre elle-même, rejetant le romantisme d’un portrait féminin convenu.

Un spectacle radical qui ne négocie nul compromis, en vue d’une liberté à défendre.

Liberté à Brême de Rainer Werner Fassbinder, traduction de Philippe Ivernel (Actes Sud- Répliques), mise en scène de Cédric Gourmelon. Du 9 au 13 mars 2022 à 20h, samedi à 18h, dimanche à 16h, au T2G - Centre dramatique national de Gennevilliers, 41, avenue des Grésillons 92230- Gennevilliers. Tél : 01 41 32 26 10.
Crédit photo : Simon Gosselin.

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Véronique Hotte

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