Paris, Lucernaire jusqu’au 1er septembre 2012
Les Bonnes de Jean Genet
Vrai rituel
Les Bonnes est une pièce quelque peu victime de son succès, parfois trop jouée dans l’esprit des premières représentations et des volontés un peu tyranniques de Jean Genet. Le spectacle de la compagnie Théâtre A a l’originalité de respecter l’œuvre et de se moquer de la tradition. Le spectacle n’en est pas moins un cérémonial sur le théâtre : chez Genet, on joue à être un autre, à se moquer de l’image de l’autre et tout est théâtralité, irréalité, jeu de miroirs où le quotidien se transforme en une métamorphose de plus en plus rituelle. Serge Gaborieau et Armel Veilhan ont choisi un compromis qui donne une vie intense à ce qui pourrait rester trop formel. Ils donnent à l’affrontement la vivacité du quotidien, le naturel des relations immédiates, mais le dispositif de Jacques-Benoît Dardant n’est pas réaliste : bricolé, ce décor de placards et de lits qui semble fait avec du papier collant va évoluer et aller vers une imagerie plus baroque.
Les deux interprètes des domestiques – on sait que les deux bonnes sont figurées dans une tentative d’assassinat de leur maîtresse, telles que Genet les réinvente après le réel meurtre d’une bourgeoise par les sœurs Papin dans les années 40 - jouent plus aisément dans la traduction spontanée des sentiments que dans la mise en miroir. Mais, peu à peu, elles trouvent parfaitement ce double style. Marie Fortuit est avec justesse une Claire frondeuse, désinvolte, rapide. Violaine Phavorin est plus terrienne, plus noire, pour incarner avec force une Solange âpre, brute, courtisane. Odile Mallet se charge du rôle de Madame, en grande bourgeoise dont elle détaille l’insouciance, l’inintelligence et la méchanceté tapie sous la philanthropie. On a rarement autant ri face à ce personnage, ici traité sans solennité et avec une contagieuse gourmandise critique.
Pourquoi cette version des Bonnes nous convainc-t-elle alors que celle de Jacques Vincey, cet hiver à l’Athénée, nous laissait de glace malgré ses excellentes comédiennes ? Parce que, là, une jeune génération s’empare de la pièce sans la placer dans un prisme torturé et la joue comme un texte où le poids du présent l’emporte sur le poids du passé.
Les Bonnes de Jean Genet, mise en scène de Serge Gaborieau et Armel Veilhan, scénographie et lumière de Jacques-Benoît Dardan, avec Marie Fortuit, Odille Mallet et Violaine Pharovin. Lucernaire, 18 h 30, tél. : 01 45 44 57 34, jusqu’au 1er septembre