Critique – Opéra & Classique

Le Petit Duc de Charles Lecocq

Régal musical et rires en cascades, l’irrésistible renaissance d’une friandise oubliée

Le Petit Duc de Charles Lecocq

L’aventure sort de l’ordinaire : faire revivre un dimanche après-midi en une unique représentation l’une des plus délicieuses opérettes du répertoire français. C’est ce qu’a réussi au Trianon de Paris, devant une salle comble, hilare et enchantée, la fine équipe de la Compagnie des Frivolités Parisiennes avec leur production du Petit Duc, opéra-comique de Charles Lecocq (1832-1918) qui dès sa création en 1878 et jusqu’aux années précédant la seconde guerre mondiale fut l’une des œuvres de divertissement les plus jouées en France. Pour être ensuite, on ne sait pourquoi, jetée dans la trappe des oubliés. De Lecocq, seule La Fille de Madame Angot trouvait encore par-ci par-là une place.

Mais les temps ont changé depuis ces trente dernières années et la reconnaissance un rien tardive mais éloquente du génie d’Offenbach qui pendant bien des années avait été cantonné au seul rôle d’amuseur public. Lecocq, lauréat d’un concours qu’Offenbach avait organisé en 1856, était et se voulait cet amuseur, prenant en héritage les leçons du maître. On les retrouve en citations et clins d’yeux malicieux dans ce Petit Duc pour lequel les librettistes Meilhac et Halévy inventèrent des dialogues joliment farfelus.

L’un des atouts de la production de ce Petit Duc se niche dans le jeu déluré et toujours exact des interprètes, des premiers rôles au dernier des choristes. Les textes sont joués autant que chantés. Edouard Signolet leur metteur en scène s’avère directeur d’acteurs hors pair, offrant à chacun une palette de toutes les couleurs du comique, un sens du rythme enchaînant les rebondissements de situation comme les balles d’une partie de ping-pong effrénée. Avec trois fois rien en termes de décors : un rideau noir et quelques caissons peinturlurés qu’ils déplacent, entassent, divisent, superposent. Sous des lumières efficaces sans effets spectaculaires. Seule la joyeuse fantaisie des costumes tranchent sur cette sobriété qui se transforme – sans doute involontairement – en une leçon de savoir-faire, de savoir servir une œuvre pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle devient dans des imaginaires qui la détournent de son essence.

Mais si le décorum peut paraître économe rien n’a été épargné au niveau musical. L’Orchestre des Frivolités Parisiennes, cet ensemble dédié à la musique française romantique et aux musiques dites légères créé en 2012 par Benjamin El Arbi, Mathieu Franot et Pierre Girod, est au complet, sous la direction toute en netteté et vivacité de Nicolas Simon. Au théâtre du Trianon où se déroulait la représentation parisienne il n’y a pas de fosse, si bien que les musiciens postés à hauteur des rangs d’orchestre étaient visibles du public, et visibles étaient leur plaisir à faire pétiller les envolées dansantes de cette musique dont de nombreux passages sont ancrés dans nos oreilles même si nos yeux ne les ont jamais vus sur scène. Le duo d’amour du premier acte, l’hilarante leçon de solfège, « le plus bel officier du monde ne peut donner que ce qu’il a…. » en sont quelques menus exemples.

Cinq solistes, douze choristes font revivre les ébats de deux mômes de quinze ans mariés à la cour de Versailles pour d’obscures raisons politicardes, puis séparés parce que trop jeunes, lui pour être envoyé à la guerre, elle pour être éduquée dans un pensionnat… Malgré les pièges tendus par un précepteur poltron et un militaire grande gueule, ils finiront par se retrouver et s’aimer unis en cœur en en corps !

Raoul de Parthenay, le petit duc, rôle travesti composé pour un timbre de soprano trouve en Sandrine Buendia le double idéal d’un farfadet polisson dont le cœur et le pouls battent la chamade. Brune, fine, « elle- il » est ravissant, d’une drôlerie parfaitement contrôlée, la voix franche et le jeu vif argent. Face à « elle- lui », Blanche de Cambry, sa jeune épousée le dépasse d’une tête avec sa perruque de blondinette ambrée, Marion Tassou, au timbre riche et à la diction finement mitraillée, en fait une rebelle potache prête à mordre quiconque l’empêche d’aller là où elle veut. Elle met son pensionnat sens dessus dessous et aime son petit duc à pleines dents.
Double pattes et patachon, Rémy Poulakis/le précepteur Frimousse et Jean-Baptiste Dumora/Montlandry le militaire pète sec forment un couple clownesque où le premier joue au pantin désarticulé avec une voix de fausset tandis que le second tonitrue en roulant des mécaniques.

Cerise sur le gâteau du burlesque, Diane de Château-Lansac, la prof-surveillante du pensionnat est confiée au ténor Mathieu Dubroca, qui de sa silhouette filiforme en robe longue, ses hanches roulantes, et sa chevelure dégringolant en bouclettes d’argent, compose un personnage délicieusement saugrenu.
Garçons et filles les choristes ne se contentent pas de chanter, ils jouent leurs petits rôles comme autant de solistes bouffons.

L’ensemble est un régal qui vous maintient durant deux heures et trente minutes, le rire à la bouche et le pied cadencé.
Ils ont commencé par faire des heureux à Dreux le 9 février dernier, sont passés le 19 en coup de vent au Trianon de Paris, et s’apprêtent à faire une halte à l’Opéra de Reims et au Théâtre de Saint-Dizier.

On espère qu’une grande tournée emportera leurs Frivolités au quatre coins de France et ailleurs.

Le Petit Duc de Charles Lecocq, livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, orchestre des Frivolités parisiennes, direction Nicolas Simon, mise en scène Edouard Signolet, scénographie et costumes Laurianne Scimemi Del Francia, lumières Virginie Galas. Avec Sandrine Buendia, Marion Tassou, Rémy Poulakis, Jean-Baptiste Dumora, Mathieu Dubroca. Et 12 coryphées pour les pages, les nobles, les pensionnaires et cantinières.

Opéra de Reims, le 3 mars à 20h (03 26 50 03 92)
Théâtre de Saint-Dizier, le 5 mars à 15h (03 25 07 31 66)

Photos Marie-Louise Le Goff

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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