Boulez, Bartók, Debussy par l’Orchestre national de France le 23 janvier
Le Char de Boulez
Le centenaire de la naissance de Pierre Boulez est l’occasion de renouer avec ses premières partitions, qu’on ne peut d’aucune manière réduire au rang de systèmes ou de machines.
- Publié par
- 24 janvier
- Critiques
- Opéra & Classique
- 0
-

C’EST AU TOUR DE RADIO FRANCE de célébrer les cent ans de la naissance de Pierre Boulez*. Au tour de l’Orchestre national de France, précisément, qui, après avoir interprété les Notations, le 17 janvier dernier, s’est attaqué au Soleil des eaux. Ou plutôt est revenu à cette œuvre qui, comme la plupart de celles que nous a laissées Boulez, est le fruit d’une longue gestation commencée en 1948, sous la forme d’une création radiophonique, pour aboutir à une version définitive, en 1965 à Berlin, en passant par une version intermédiaire donnée le 18 juillet 1950 au Théâtre des Champs-Élysées, avec Irène Joachim, Pierre Mollet, Joseph Peyron. L’Orchestre national était dirigé ce soir-là par Roger Désormière, à qui Le Soleil des eaux est d’ailleurs dédié. (Il faudrait, pour être précis, ajouter qu’un troisième état de la partition s’est glissé, en 1958, entre la version de 1950 et celle de 1965.)
L’une des différences essentielles entre les versions de 1948, 1950 et 1958, et celle de 1965, choisie ce 23 janvier par l’Orchestre national de France, est la substitution de deux des trois voix solistes par un chœur. Ne reste que la soprano, en l’occurrence Sarah Aristidou, déjà présente lors du concert des Siècles où elle avait participé à l’exécution de Pli selon pli.
Les différences sont grandes entre ces deux œuvres. Les développements de Pli selon pli prolifèrent alors que Le Soleil des eaux, à l’image de la poésie de René Char choisie par Boulez, est une page d’une grande concision. Une page qui a conservé toute sa fraîcheur, comme en témoigne la très belle introduction instrumentale de la seconde partie (« La sorgue »), où les harpes et les claviers font merveille. Malgré toutes les qualités du Chœur de Radio France, il n’est pas sûr toutefois que l’œuvre ait gagné en convoquant un grand ensemble vocal dans cette seconde partie, qui fait contraste un peu trop brutalement avec l’intimité de la première (« La complainte du lézard amoureux »), où la soprano, seule face à l’orchestre, fait entendre très clairement les mots de Char – par contraste avec ceux de Mallarmé, qui ne sont que prétexte dans Pli selon pli.
Des lointains
Le concert se poursuivait avec le Troisième concerto pour piano de Bartók, créé à titre posthume en 1946, joué ici par un Jean-Efflam Bavouzet confondant d’aisance et de virtuosité souriante, avec un Orchestre national qui se sent aussi bien chez lui dans ce concerto que dans la compagnie de Boulez (ah, les moments nocturnes du mouvement lent, le crépitement pianissimo des cordes !).
On retrouve avec le même plaisir les musiciens du National dans les Nocturnes de Debussy, emmenés par un Juraj Valčuha exemplaire de précision et de clarté. L’effet de lointain produit par les trompettes avec sourdines, dans « Fêtes », le deuxième Nocturne, est saisissant, et les voix féminines du Chœur de Radio France, dans le troisième, sont réellement des voix de sirènes. Boulez était sans doute davantage l’héritier de Debussy que celui de Bartók. Mais la lumière des timbres de l’Orchestre national, l’art des nuances de chacun de ses pupitres et la souplesse de la formation tout entière, nous prennent au piège délicieux de la généalogie.
Illustration : Juraj Valčuha (photo dr)
* Rappelons qu’un site résume une grande partie des initiatives liées à cet anniversaire. À Radio France, le prochain rendez-vous boulézien aura lieu le mercredi 5 février, dans le cadre du festival Présences, avec le Quatuor Diotima qui jouera le Livre pour quatuor.
Boulez : Le Soleil des eaux – Bartók : Concerto pour piano et orchestre n° 3 – Debussy : Nocturnes. Sarah Aristidou, soprano ; Jean-Efflam Bavouzet, piano ; Chœur de Radio France (dir. Lionel Sow) ; Orchestre national de France, dir. Juraj Valčuha. Maison de la radio et de la musique, 23 janvier 2025.