La mort de Xavier Durringer

Le poète des marginaux

La mort de Xavier Durringer

Stupeur. Douleur. Incrédulité. Tristesse. Xavier Durringer est mort le 4 octobre, à 61 ans. Il s’est soudain effondré sur la terrasse de sa maison de L’Isle-sur-la-Sorgue. Crise cardiaque que rien, semble-t-il, ne laissait prévoir. L’un des plus brillants de nos auteurs de théâtre et de nos cinéastes s’en est allé, très tôt, trop vite, abandonné par cette vie humaine dont il était le chantre le plus gourmand.
Fils de médecin de la banlieue parisienne, il était né le 1er décembre 1963 à Montigny-les-Cormeilles. Sa jeunesse n’est pas celle d’un enfant « rangé », il la racontera dans son roman Sfumato. Ses premiers pas dans le théâtre se passent au cœur d’une école qui s’est nourrie des expériences américaines, l’Acting international de Robert Cordier. Là, on ne se réfère pas au répertoire classique, on y joue plutôt des auteurs US comme Sam Shepard (un écrivain qu’il traduira plus tard) et on tente de nouvelles écritures comme celle de Cordier lui-même. En 1989, Durringer fonde sa propre équipe, la Lézarde, dont les acteurs ont le sang de la banlieue et des sociétés multi-ethniques. Ses premières pièces (Une rose sous la peau, La Nuit à l’envers, Bal-Trap, Une envie de tuer sur le bout de la langue…) rencontrent une certaine résistance des observateurs mais séduisent rapidement le public de sa génération. Il parle des jeunes gens en quête d’amour, de sexe, d’inconnu, de plaisir, des errances et des rencontres dans les bals des petites boîtes, les cafés, tout ce qu’offrent aux déclassés les zones urbaines, où violence et tendresse ont droit au même regard intelligent. Ce fils de bourgeois aimait les fauchés et les marginaux. Son langage vient de la rue mais swingue dans une écriture très personnelle.
Au fil du temps, sa vision devient plus ample, s’affronte à ce qu’il appelle les « fondamentaux » de la vie, de la pensée, des religions et compose des fresques sociales ambitieuses (Surfeurs), tandis que, pour le cinéma et la télévision, il réalise des films noirs et critiques dont le plus célèbre est la percutante Conquête sur l’accès au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Il devient un homme de cinéma mais revient au théâtre par saccades, donnant de nouveaux textes aux éditions Théâtrales et continuant d’être joué constamment par les jeunes troupes en France et, aussi, abondamment, à l’étranger. Son dernier grand succès théâtral fut Acting , en 2016 aux Bouffes parisiens avec Kad Merad et Niels Arestrup, un huis clos en prison où deux taulards s’affrontent en affrontant le texte d’Hamlet et la notion de l’art de jouer ! Il fit également un bien beau spectacle sur Joséphine Baker, Joséphine B, jouée par Clarisse Caplan et Thomas Armand.
Il était devenu une personnalité de l’étincelant bazar du spectacle et de la pellicule, qui aime la fête et reste d’une authenticité inentamée, aux amitiés indéfectibles. Il a toujours écrit au plus profond dans un langage cru et jouissif. Dans une très belle préface que Roger Bensky et moi lui avions demandée pour un petit livre sur le présent du théâtre français en 2020, il disait : « Ce confinement généralisé nous ramène essentiellement à notre propre labyrinthe. C’est une obligation de repenser à ça, à l’origine de la création, de notre propre chemin théâtral, à notre émotion primale. A notre œuvre au noir. J’aimerais tant par un jour béni vous rencontrer tous les deux autour d’un verre, ici ou là-bas. Le Mexique serait magnifique. On boirait une bière et on se raconterait tout ce qui nous a fait rire. » Ce qui est la gentillesse et la poésie même. Le merveilleux Xavier Durringer n’est plus parmi nous. Il n’y aura pas de dernier verre.

Photo Wikipédia (G. Garit).

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter...

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