Tosca de Puccini au Théâtre Graslin de Nantes

La belle et la bête

Angers Nantes Opéra clôt sa saison avec une Tosca confiée au tandem italien, Silvia Paoli-Clelia Cafiero, dont les choix servent le propos de cet opéra intemporel.

La belle et la bête

SILVIA PAOLI A RENONCÉ À IMAGINER une mise en scène comme toile de fond au profit d’une approche psychologique sans pathos, qui fait vivre sous une lumière crue les émotions des personnages et la cruauté de leur destin. Sur une scène presque vide, pavée de marbre froid et de parois blanches amovibles, le trio s’invective, s’enamoure, se débat. Paoli parsème cette Tosca d’allusions, de symboles et d’allégories pour éclairer la profondeur politique du drame et lui donner des résonances contemporaines. Ainsi, à la fin d’un premier acte un peu plat, le Te Deum impressionne par le foisonnement musical, mais surtout par le tableau offert sur scène. Paoli reproduit la peinture de Mattia Preti, dans le chœur de l’église Sant’Andrea della Valle, qui représente saint André crucifié. Et le chœur d’Angers Nantes Opéra, auquel on doit une prestation générale de qualité, apporte force et vigueur à ce tableau marquant.

La sobriété de la mise en scène est riche d’idées intéressantes, à l’image de la brigade de Scarpia, une dizaine de policiers (des danseurs) sans visages, en noir du képi aux rangers, grégaires, félins et fureteurs. Durant le prélude du troisième acte, des hommes et des femmes s’attroupent : ils deviendront le charnier sur lequel Tosca se donnera la mort (par arme à feu). On s’étonne aussi de ces corps devinés, qui déforment le fond de scène élastique, alors que Mario hurle devant la torture… Fiammetta Baldisserri sculpte ces vastes volumes avec des lumières délicates, jouant sur la latéralité, le contre-jour, ou, pour le « Vissi d’arte », en plaçant Tosca à côté du faisceau de lumière. Les costumes de Valeria Donata Bettella concourent à planter cette Tosca dans une neutralité temporelle : Mario en pantalon noir et chemise blanche, Scarpia dans son sombre complet, Angelotti couvert d’un long manteau… Des pas de côté bienvenus dynamisent le tout, comme ces sœurs, chevelures cachées, qui portent pourtant des robes près du corps ou les costumes de la Rome antique du Te Deum.

Des intentions dans la fosse

Indépendamment de la volonté de Clelia Cafiero, l’Orchestre national des Pays de la Loire se présente en effectif ramassé, laissant quelques tableaux orphelins de leur épaisseur et de leur force sonore (il s’agit d’une réduction pour orchestre de chambre signée Riccardo Burato). Clelia Cafiero prend la baguette avec des intentions et cela s’entend. Elle met en valeur les pupitres, marque les détails, et souligne les phrasés et nombreux legatos de la partition. Elle choisit des tempos qui créent parfois sur la scène des décalages, toujours rattrapés. Si l’on regrette la tiédeur des cinq accords tutta forza de l’introduction, on goûte la précision d’une baguette exigeante et ample.

Andeka Gorrotxategi prend entièrement possession de son personnage, et fait de Mario Cavaradossi un amoureux combattant. Son implication scénique est remarquable, mais la voix manque d’équilibre. Les graves sont au début engorgés, et les aigus, droits et tout en puissance, manquent jusqu’à la fin de nuances. Seul son « E Lucevan le stelle » fait preuve de tendresse et de subtilité. Izabela Matuła a l’âme d’une tragédienne. C’est une Tosca ardente d’amour, de douleur et de bravoure, celle qui a le dernier mot devant Scarpia. La soprano polonaise gagne en justesse à mesure que le drame s’installe, et fait preuve de caractère. Assise sur des mediums sûrs et veloutés, cette Tosca fait preuve de facilités vocales et nous livre des aigus précis. On est touchés par sa sincérité, son affirmation et ses déchirements croissants. Le « Vissi d’arte » est un moment suspendu.

Le malaise comme art

Le Scarpia de Stefano Meo installe le malaise dès sa première apparition. Cet ogre libidineux dont on ne satisfait jamais l’appétit reluque les femmes, les toise, les viole, sans scrupule et sans limite. La mise en scène le place au centre et transpose ce capitaine de police de 1800 en un personnage contemporain, que le pouvoir décomplexe impunément. Le baryton s’impose par sa seule stature, appuyé sur un jeu d’acteur complet, une voix profonde et projetée qui font de ce Scarpia un vrai pervers sadique… Il déchiquette les roses fraîches à pleins doigts, il consomme le corps des femmes…

Marc Scoffoni, habitué de Graslin, troque le costume militaire de Belcore de la saison dernière pour un col romain, celui du Sacristain, avec une voix franche, panache et humour. L’angoisse d’Angelotti est correctement restituée par Jean-Vincent Blot qui installe d’emblée l’urgence et la menace.

Crédit photo : ©Bastien Capela pour Angers Nantes Opéra

Puccini : Tosca. Avec : Floria Tosca : Myrtò Papatanasiu (en alternance avec Izabela Matula) ; Mario Cavaradossi : Andeka Gorrotxategi (en alternance avec Samuele Simoncini) ; le baron Scarpia : Stefano Meo ; le Sacristain : Marc Scoffoni ; Cesare Angelotti : Jean-Vincent Blot ; Spoletta : Marc Larcher ; Sciarrone : Pierrick Boisseau ; le Pâtre : Hélène Lecourt ; le Geôlier : Éric Vrain. Mise en scène : Silvia Paoli ; scénographie : Andrea Belli ; costumes : Valeria Donata Bettella ; lumières : Fiammetta Baldiserri. Maîtrise des Pays de la Loire (dir. Pierre-Louis Bonamy), Chœur d’Angers Nantes Opéra (dir. Xavier Ribes). Orchestre national des Pays de la Loire, dir. Clelia Cafiero. Nantes, Théâtre Graslin, 23 mai 2024.

Cette Tosca, donnée à Nantes jusqu’à la fin du mois de mai, voyagera à Rennes en juin. Le 8 juin, elle sera projetée sur grand écran dans de nombreuses villes de la région.

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Quentin Laurens

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