La Vestale, une histoire de feu et de flamme
Le splendide opéra de Spontini fait éclater sa violence et son lyrisme au Théâtre des Champs-Élysées.
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- 24 juin 2022
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SPONTINI, POUR CEUX QUI N’ONT PAS OUBLIÉ son nom, serait l’un de ces besogneux musiciens de transition, qui feraient le lien entre tel et tel compositeur ou entre tel et tel courant, en l’occurrence : entre Gluck et le bel canto à la manière de Bellini. Vision déterministe qu’il faut oublier car Spontini est un artiste en soi, qui nous a laissé plusieurs chefs d’œuvre dont La Vestale. Berlioz cite cet opéra dès son premier article de journaliste, paru en 1823 dans Le Corsaire, et toute sa vie sera un ardent défenseur de Spontini, qui lui inspire cette réflexion : « Le génie de Gluck aime à errer aux portes des enfers, sur les rochers, les plages arides ; celui de Spontini habite les palais, les grands temples, il lui faut du marbre et de l’or. »
Mais si plusieurs ouvrages de Gluck sont régulièrement à l’affiche des théâtres, ceux de Spontini sont aujourd’hui beaucoup plus rares. C’est pourquoi on se réjouira que le Palazzetto Bru Zane ait permis à La Vestale de reprendre le chemin du Théâtre des Champs-Élysées, où elle avait déjà trouvé asile en 2013 dans une production scénique d’Éric Lacascade placée sous la direction musicale de Jérémie Rhorer (il s’agissait là de la première représentation de La Vestale à Paris depuis 160 ans). Ermonela Jaho incarnait alors Julia, la jeune vestale condamnée à être enterrée vivante pour avoir laissé éteindre le feu sacré par amour pour Licinius, mais que les dieux sauvent in extremis du supplice.
Plus d’idées que de facilités
Cette fois, La Vestale est donnée en version de concert, soirée qui vient ponctuer des séances d’enregistrement qui nous permettront de disposer d’une version discographique soignée, plus crédible sur le plan du style et de la diction que celle dirigée par Riccardo Muti*. La plus grande partie de la distribution, en effet, est ici francophone, et rend justice au livret d’Étienne de Jouy. Celui-ci utilise plusieurs des artifices rhétoriques de son époque (l’opéra a été créé en 1807) mais, si on oublie les deux premiers vers (« La nuit achève sa carrière / Bientôt va renaître le jour »), il contient de belles idées (« Mon amour t’a perdue, il doit te protéger », « Et mon supplice au moins sera ma liberté », « Le salut des états ne dépend pas d’un crime ») et surtout permet à l’action de combiner avec efficacité les moments d’attendrissement et les pages de violence, sans les facilités qu’on trouvera un peu plus tard dans les livrets d’un Scribe, par exemple.
On citera d’abord Stanislas de Barbeyrac (Licinius), d’une fort belle autorité, le timbre légèrement ombré (la tessiture centrale du rôle y est pour quelque chose) comme il sied à un héros en proie aux tourments. À ses côtés, Tassis Christoyannis est Cinna, l’ami prêt à tous les sacrifices (« Et le jour témoin de ta mort / Verra le terme de ma vie »), Cinna éprouvant pour Licinius, d’une certaine manière, le même sentiment d’amitié aiguë et intime exprimé par Oreste et Pylade dans Iphigénie en Tauride. On notera simplement que les premiers échanges entre Licinius et Cinna, qui ouvrent La Vestale, ne comptent pas parmi les plus enthousiasmants de l’ouvrage. C’est à partir de la fin de l’acte I, et du II surtout, que tout devient captivant.
Nicolas Courjal est noir et féroce dans le rôle du Pontife fanatique, Aude Extrémo prête sa couleur de contralto à la Grande Vestale partagée entre le devoir et la compassion. Les timbres de toutes ces voix sont bien caractérisés, et répondent aux instruments particulièrement fruités des Talens Lyriques, que dirige Christophe Rousset avec une fougue réglée : les bois et surtout les cors sont ici très sollicités, les trombones ajoutent leur cruauté avec des accents, là encore, qui peuvent rappeler Gluck.
Lyrisme tragique plutôt que tragédie lyrique
D’une manière générale, l’orchestre de Spontini est fouillé, sensuel, éloquent (les traits des seconds violons dans l’ouverture, les gammes ascendantes qui ponctuent l’ardeur de Julia s’exclamant « Licinius est là », les nombreux solos de hautbois qui balisent la partition, l’extraordinaire effet de tonnerre à la fin), et c’est là aussi ce qui a dû séduire Berlioz. Le duo du deuxième acte, d’ailleurs, qui devient trio quand Cinna vient exhorter les amants coupables à se séparer, cependant que la foule réclame vengeance, n’est pas sans évoquer la fin de la troisième partie de La Damnation de Faust (où Méphistophélès joue bien sûr le rôle d’un ami perfide), même s’il est permis d’entendre par ailleurs, en maints endroits des Troyens, plus d’un souvenir de La Vestale.
Reste le rôle-titre. Il faut rappeler que La Vestale, après avoir été longtemps oubliée, a été remise à l’honneur par Maria Callas, en 1954, à la Scala de Milan, dans un spectacle mis en scène par Visconti, mais l’ouvrage était alors donné en italien. On n’attendra pas de la part de Marina Rebeka, qui incarne ici Julia, le même tempérament de tragédienne. Sa diction, par ailleurs, n’est pas toujours irréprochable, mais sa conception du personnage, toujours musicale, concentrée sur la phrase et le sentiment davantage que sur le théâtre, lui permet d’affronter avec brio l’immense air du deuxième acte (« Toi que j’implore avec effroi… Impitoyables dieux ») qui est en réalité un moment lyrique d’une stupéfiante intensité.
On ajoutera que le Chœur de la radio flamande, rompu à ce répertoire**, apporte sa ductilité et son articulation soignée (la langue autant que la musique), et contribue à la réussite de cette soirée. La Vestale a été dédiée à Joséphine, et Napoléon se cache peut-être sous les traits de Licinius, mais La Vestale n’a rien d’un ouvrage de propagande ; c’est une partition inspirée qui contribue en outre à la réflexion sans fin sur le romantisme en musique.
Illustration : Christophe Rousset (photo Éric Larrayadieu)
* Cet enregistrement, effectué en 1995 pour Sony, comprend les airs de ballet, qui n’ont pas été retenus dans la nouvelle version.
** Il participe à l’enregistrement d’Olympie de Spontini effectué avec Karina Gauvin, sous la direction de Jérémie Rhorer, réalisé à l’initiative du Palazzetto Bru Zane.
Gaspare Spontini : La Vestale. Marina Rebeka (Julia), Stanislas de Barbeyrac (Licinius), Tassis Christoyannis (Cinna), Aude Extrémo (la Grande Vestale), Nicolas Courjal (le Grand Pontife), David Witczak (Un consul, le Chef des aruspices) ; Chœur de la radio flamande, Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset. Théâtre des Champs-Élysées, 22 juin 2022.