Opéra National de Lyon jusqu’au 29 mai 2012

L’Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel et Le Nain d’Alexander Zemlinsky

Deux regards sur les féroces jeux de l’enfance

L'Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel et Le Nain d'Alexander Zemlinsky

Deux œuvres courtes précèdent la fin de saison de l’Opéra de Lyon – avant Carmen attendue fin juin - : L’Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel et Le Nain d’Alexander Zemlinsky, deux opéras d’une heure environ qui ont en commun d’êtres nés au début des années vingt du vingtième siècle. Le Nain est parfois joué tout seul, L’Heure Espagnole de Ravel accompagne souvent son Enfant et les Sortilèges. Ils sont ici associés comme ils l’avaient été au Palais Garnier à Paris en 1998. Un doublé où se répondent en écho les thèmes des jeux de l’enfance et de leur inconsciente cruauté.

Pour les mettre en scène le choix lyonnais s’est porté sur un quatuor issu de Varsovie, l’homme de théâtre Grzegorz Jarzina, la décoratrice Magda Maciekewsk, la réalisatrice de costumes Anna Nykowska Duszynska et la fée des lumières Jacqueline Sobiszewski. Dans la fosse Martyn Brabbins, chef invité de l’Orchestre Philharmonique de Flandre, et futur chef principal de l’Orchestre de Nagoya au Japon, dirige l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, avec vivacité et des bonheurs divers. Au rayon des voix, quelques uns des jeunes chanteurs ont été recrutés parmi les pensionnaires du Studio de l’Opéra de Lyon.

Ravel mit dix ans à composer le conte fantasmagorique que Colette avait imaginé pour une féerie ballet où Ravel décelait les indices d’une opérette à l’américaine qui, à l’époque, de portait pas encore le titre de « musical ». Il saupoudra l’élégance de son écriture de poudre de jazz et de ragtime qui fait danser les êtres et les objets soudain animés par l’imaginaire d’un enfant pas sage.

Après le théâtre dans le théâtre, formule usée dans tant de mises en scène, on assiste ici à l’opéra au cinéma. Une équipe de tournage, réalisateur, cameramen, preneurs de sons filme la représentation et en projette quelques images en gros plan sur un écran tendu au-dessus du décor. Ce n’est pas nouveau, ça n’apporte pas grand-chose sinon d’inutiles complications et gesticulations. La chambre de l’enfant, ses meubles, ses jouets se trouvent empilés dans une sorte de caravane qui tourne sur ses roues pour des vues de face ou de profil. Par un « effet spécial » indéterminé, la roulotte s’envole dans les cintres. Révélant dans la deuxième partie, un jardin cerclé de troncs noirs. On est alors vraiment dans l’histoire, l’équipe ciné a pris les habits des souris et des rainettes et tient compagnie à la faune du rêve, le rossignol, la libellule, les chats qui miaulent en duo, l’écureuil, la chouette et leurs acolytes de bois, de papier, de porcelaine et de chiffons dans leurs costumes bigarrés rivalisant de fantaisie…

A l’exception de l’enfant – la gracieuse Pauline Sikirdji – chaque chanteur, comme l’a voulu Ravel, interprète plusieurs personnages, Jean-Gabriel Saint Martin pour l’Horloge et le Chat, Heather Newhouse pour la Chauve Souris et la Princesse, Antoinette Dennefeld (coquine en chatte et en écureuil), François Piolino en Théière et Rainette, etc... Musicalement le résultat est homogène, tous et toutes s’investissent avec entrain. Le hic est qu’on ne comprend pas un mot – ou si peu – de ce qu’ils chantent. Pauvre Colette, dont la prose poétique tombe en quenouille mâchonnée... Le texte étant en français, l’Opéra de Lyon a renoncé aux surtitres et c’est dommage. Le chant français qui est si peu enseigné fait naufrage. C’est frustrant même si l’espiègle Colette fait dire à la Théière : « Keng-ça-fou, puis’kong kong-pran-pa »

Après l’entracte Le Nain de Zemlinsky dont le livret, inspiré d’Oscar Wilde, est écrit en allemand a droit aux traductions projetées habituelles. Les arbres du décor de l’Enfant deviennent les piliers d’un palais ouvert à toutes les frivolités d’une cour royale – celle d’Espagne – s’apprêtant à fêter les 18 ans de son Infante. Frivole, Zemlinsky ne l’était certainement pas. Ce Viennois qui avait prodigué à Schönberg ses premières leçons de composition (sans adopter par la suite les principes d’atonalité de son élève), amoureux d’une Alma Schindler qui lui préféra Mahler, exilé par l’hydre nazi, réfugié dans la banlieue de New York où il mourut pauvre et oublié, n’a jamais été un homme, ni un compositeur de la futilité. Redécouvert depuis une quinzaine d’années, ses Tragédie Florentine ou Roi Candaule sont régulièrement programmés. Le Nain est un cas singulier, certain vont jusqu’à le qualifier de projection autobiographique. Zemlinsky n’était pas beau et il attribuait peut-être son échec amoureux à son physique. Il trouve chez Oscar Wilde un sujet qui entre dans les phantasmes de ses frustrations. L’histoire de ce cadeau sous forme de nain difforme, troubadour chantant merveilleusement mais ignorant sa disgrâce physique lui inspira une musique de douleurs et de mystères, aux parfums d’un Orient chimérique.

Costumes et décors en technicolor tourbillonnent. Crinolines translucides aux pastels de bonbons anglais pour les dames de la cour, robes noires aux manches blanches taillées en éventail pour les suivantes, majordome emperruqué façon grand siècle, les époques s’entremêlent jusqu’à nos fifties, les chevaux offerts sont devenus chevaux vapeur avec décapotables grand format de style Chevrolet. La jet-set, s’amuse, la jubilaire en grand falbalas et crinière rousse frisée, fait des caprices d’enfant gâtée. Le cadeau surprise sort d’une caisse de bois. Il fait le beau, il fait rire, il tombe amoureux de la belle donna qui, sans précaution ni tact, finit par lui révéler son vrai visage. Le nain très laid qui se croyait grand et beau en meurt. Mais la fête continue.

La voix claire de la soprano Karen Vourc’h jongle habilement avec la sécheresse de ton de l’Infante, Lisa Karen Houben, autre soprano joue au contraire sur la douceur en Ghita, l’amie, seul être de compassion. Solide majordome Estoban chanté par le baryton Simon Neal. Robert Wörle n’a ni la taille ni le faciès d’un gnome repoussant. Mais il est bon comédien, réussit à se mouvoir en balourd et rendre gauche son beau timbre de ténor.

Avec la musique de Zemlinsky Martyn Brabbins entraîne l’Orchestre de l’Opéra de Lyon dans des voies moirées qui sûrement lui sont chères. Battue rapide, souvent ironique entrecoupées de plages de mystères et de douleurs. Le Nain prend sa taille de chef d’œuvre.

L’Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel et Le Nain d’Alexander Zemlinsky, orchestre, chœurs et maîtrise de l’Opéra de Lyon, direction Martyn Brabbins, chef des chœurs Alan Woodbridge, solistes du Studio de l’Opéra de Lyon, direction Jean-Paul Fouchécourt. Mise en scène Grzegorz Jarzyna, décors Magda Maciejewska, costumes Anna Nykowska Duszynska, lumières Jacqueline Sobiszewski. Avec : Pauline Sikidji, Majdouline Zerari, Heather Newhouse, Mercedes Arcuri, Antoinette Dennefeld, Elise Chauvin, Joanna Curelaru, Simon Neal, Jean-Gabriel Saint-Martin, François Piolino (L’Enfant et les Sortilèges). Karen Vourc’h, Lisa Karen Houben, Simon Neal, Robert Wörle, Mercedes Arcuri, Heather Newhouse, Majdouline Zerari, Sharona Applebaum, Marie-Eve Gouin (Le Nain).

Opéra de Lyon, les 19, 21, 23, 25 & 29 mai à 20h, le 27 à 16h.

0826 30 53 25 – www.opera-lyon.com

Photos Stofleth

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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