L’Annonce faite à Marie, composition et mise en scène

Un entretien avec le compositeur Philippe Leroux et Célie Pauthe, qui signe la mise en scène

L'Annonce faite à Marie, composition et mise en scène

À l’occasion de la création de l’opéra de Philippe Leroux, le 9 octobre à Nantes, Philippe Leroux, compositeur, et Célie Pauthe, chargée de la mise en scène, nous en disent plus.

Philippe Leroux, Célie Pauthe, cet opéra est votre premier projet commun. Pouvez-vous nous parler de votre rencontre et de la manière dont se passe cette collaboration ?
PhL : C’est à Alain Surrans (Directeur général d’Angers-Nantes Opéra, ndlr) que nous devons notre rencontre. Alain, connaissant les contours de mon premier opéra, m’a recommandé Célie, dont je suis allé voir un spectacle, que j’ai trouvé magnifique. Nous nous sommes rencontrés, nous avons eu des discussions intéressantes, et l’histoire ne s’est pas arrêtée ! Il m’est arrivé de travailler avec d’autres artistes, mais là, je dois dire que c’est vraiment une collaboration exceptionnelle. À chaque fois que Célie propose quelque chose, j’adhère ! Nous avons inauguré notre travail à partir d’une même idée : faire intervenir la voix de Claudel dans l’opéra.
CP : Pour moi aussi, c’est une aventure incroyable. J’ai assez peu travaillé avec des auteurs contemporains, et jamais sur d’aussi longues durées : ici, nous conduisons avec Philippe un dialogue de bout en bout, sur toute la genèse du projet. Philippe m’a envoyé le prologue il y a presque deux ans, et à partir de ces vingt minutes de musique, j’ai rêvé les quatre autres actes.
PhL : Célie s’est approprié la musique au fil de l’eau, puisque je n’ai terminé de composer cet opéra que récemment, en juin 2022.

Paul Claudel a été torturé par ce texte pendant cinquante-six ans, dit-on. Il l’a fait évoluer à de nombreuses reprises. Vous avez fait appel à Raphaèle Fleury pour écrire le livret. Qu’en avez-vous tiré ?
PhL : Nous devons en effet le livret à Raphaèle Fleury, grande connaisseuse de Claudel, qui a subtilement combiné une vision à la fois ouverte sur la façon de traiter l’œuvre de Claudel, et stricte sur la fidélité, la rigueur historique et littéraire.
CP : Raphaèle Fleury est partie de la première version de Claudel. Elle a dû couper dans ce texte copieux et faire un travail de réduction, notamment pour entrer dans un cadre opératique. Ce fut un travail d’orfèvre !

Célie Pauthe, vous êtes reconnue dans la mise en scène de théâtre. Vous vous lancez dans l’opéra, comment opérer ce virage ?
CP : Je n’avais mis en scène qu’un opéra (La Chauve-Souris, avec l’Académie de l’Opéra de Paris à la MC93 en 2019, ndlr), j’en suis donc encore à mes débuts et je trouve ça assez extraordinaire ! Le temps de dépôt, de genèse, de maturation a été riche, long et vivant de bout en bout, c’est un sacré exercice ! Les chanteurs arrivent aux répétitions très préparés, encore plus que les acteurs au théâtre, même devant une œuvre inédite qu’ils doivent apprivoiser.

Philippe Leroux, comment un compositeur s’investit-il dans les répétitions d’une œuvre inédite ?
PhL : Une grande part du travail s’est faite avec le chef d’orchestre, Guillaume Bourgogne, à la tête de l’ensemble Cairn, et avec son chef assistant Rémi Durupt. Je suis beaucoup intervenu pendant les premières répétitions, pour préciser ce qui était écrit. Évidemment, comme il s’agit d’une musique nouvelle, personne ne la connaît, à part ce que j’en ai rêvé. Je dirais que même moi-même je ne la connais pas, je dois la découvrir avec le chef, les chanteurs !

Avez-vous eu des surprises en passant de la partition à la scène ?
PhL : Non, je n’ai pas vraiment rencontré de surprises, à part à quelques moments lors de la lecture spontanée que les chanteurs ont faite de ce que j’avais composé. Nous ne sommes pas arrivés tout de suite aux répétitions, nous avons fait quelques pré-enregistrements, qui ont permis de dégrossir le travail, et donné à Célie l’occasion de découvrir ce que cela allait devenir.

Diriez-vous que c’est une musique difficile pour les musiciens, les chanteurs ?
PhL : Certains vous diraient « oui », parce qu’ils sont habitués à du répertoire du XIXe ; d’autres, non. Je demande aux chanteurs des techniques vocales un peu différentes. C’est un langage nouveau, qui n’est pas virtuose mais qui exige de la précision, avec des micro-intervalles, des modes précis, des rythmes particuliers. Les chanteurs doivent connaître leur rôle par cœur, maîtriser leur jeu scénique, et j’ai conscience que cela peut faire beaucoup !

On parle des voix, mais vous avez aussi travaillé avec l’ensemble Cairn, et des ajouts de musique électronique. Recherchiez-vous une pâte, une couleur musicales particulières ?
PhL : Je répondrai à votre question en trois temps. Le premier aspect, c’est le recours à la voix de Claudel, que nous avons synthétisée avec l’Ircam, en relevant donc un défi technologique. Nous avons utilisé des méthodes d’apprentissages par réseaux neuronaux (plus couramment appelées méthodes de machine learning, ndlr). Le deuxième aspect était ma volonté, en effet, d’enrichir la pâte sonore, non parce qu’il y manquait quelque chose, mais parce qu’il y a d’autres paramètres musicaux possibles avec l’électronique. De ce point de vue-là, je vois une continuité avec certaines pièces que j’ai composées précédemment, bien que le cadre opératique impose d’être moins virtuose. Pour finir, il faut compter avec l’aspect conceptuel, puisque j’ai analysé la graphie, l’écriture de Claudel afin de générer des rythmes, des profils mélodiques, des changements de timbres. Son écriture génère des mouvements musicaux.

Sur la partie visuelle, vous êtes allée faire un tour dans le Tardenois, la terre de Claudel. Quel est le sens de cette démarche ?
CP : C’est quelque chose que j’ai souvent aimé faire : aller me balader, rêver dans des paysages contenus dans des œuvres. Quand Philippe m’a dit que la première chose qu’on entendrait dans cet opéra, ce serait la voix de Claudel, j’ai pris ma voiture pour le Tardenois (région géographique à l’est de l’Aisne, ndlr). On sent dans ces terres des moments où le temps s’arrête, on y retrouve le Moyen-Âge rêvé de Claudel, que Philippe a su réinventer. Il y a dans L’Annonce faite à Marie des brèches de temps, mais aussi des moments où le temps se dilate. Les interprètes n’ont alors plus accès à l’ensemble du texte, mais seulement à quelques mots auxquels ils s’accrochent, comme à des trésors immergés. La musique, en plus de créer un vrai suspens, produit une sensation de brèche temporelle, des poches d’imaginaires. La perception du temps semble troublée. L’idée d’aller chercher des images dans le Tardenois est un jeu avec la mémoire, ce sont des images qu’on va chercher pour se replonger dans l’enfance de Claudel. Il y a comme une mise en abîme, pour rêver et se demander : et si L’Annonce faite à Marie se faisait dans le bureau de Claudel ?...

À quoi ces paysages ressemblent-ils ?
CP : Claudel a beaucoup écrit sur son pays, un pays aride, de vents, de labours de blés, où se dessinent parfois au loin quelques cathédrales. C’est un pays très austère que nous avons filmé l’été, l’hiver, en respectant le cycle des saisons. On est loin des rivages méditerranéens, mais cette terre contient une force, avec des grès qui affleurent et des sites impressionnants.

Revenons au texte, Philippe Leroux, que vous avez choisi. Qu’est-ce que L’Annonce représente pour vous ?
PhL : Voilà des années que je cherchais un texte ou une étincelle pour écrire cet opéra. Quand j’ai lu ce texte, j’y ai trouvé tous les ingrédients : une dramaturgie très forte, quelque chose qui parle de l’humanité, de la Terre, des passions, et quelque chose davantage spirituel, mystique ou métaphysique, avec le sacrifice de Violaine, la foi de sa sœur. Ce qui m’a plu chez Claudel, c’est la poésie de son verbe, qui suggère immédiatement la langue musicale. Depuis le début, à part les harmonies déduites de sa graphie, je n’ai donc fait que suivre le texte, rien d’autre, sans idée préconçue. L’écriture de Claudel est musicale, il fait une différence entre la structure syntaxique et les vers, et utilise beaucoup d’images, de sonorités. J’ai beaucoup utilisé son travail sur les consonnes, notamment un passage où les chanteurs ne travaillent qu’avec des onomatopées.

Vous parlez de spirituel, de métaphysique, de mystique : évitez-vous le mot « religieux » ?
PhL : Le mot « religieux » est pour moi très connoté, en relation avec une religion précise, des gestes précis. Ici, on est dans l’ambiguïté des personnages, ce ne sont pas des saints de la légende dorée. Je préfère évoquer la notion plus large de spirituel que parler de religieux. D’autant que colle souvent à Paul Claudel une image de catholique fervent, que je voulais dépasser. Bien sûr, la religion est quand même latente, c’est un texte chrétien, avec des mots et actes qui se réfèrent au catholicisme, avec des bénédictions, beaucoup de citations de l’Évangile par exemple. La religion permet de rendre concret le spirituel.

Claudel a dit que son Annonce était un « opéra de parole ». Est-ce que cela veut dire quelque chose pour vous, Célie Pauthe ?
CP : C’est la première fois que je travaille un texte de Paul Claudel et la dimension musicale d’une œuvre est encore nouvelle pour moi. C’est donc doublement vertigineux. Je crois que la dramaturgie claudélienne est pleine, entière, qu’elle n’est altérée ni par la musique de Philippe, ni par ce livret de Raphaèle. Le geste de Philippe est très juste et retranscrit fidèlement les relations entre les personnages, les sensations qui les traversent, le mouvement de vie à chaque instant.
La musique parvient à raconter justement, seconde après seconde, comme une plaque sensible.
J’ai l’impression d’être comme un spéléologue, une chercheuse d’or. Il y a une telle richesse dans cette œuvre que j’ai pris du temps à la comprendre.

Pour un public non averti qui voudrait se laisser tenter, comment peut-on raconter ce qui va se passer dans L’Annonce faite à Marie ? Quelle est votre promesse, quelles sont les forces de cette œuvre ?
PhL : Tout ce qui se passe dans cette pièce est authentique dans les affects et les sentiments. Je fais partie de ceux qui pensent que, dès lors que le travail présenté est profond, sincère, il n’y a pas besoin de faire de concession pour le public qui n’est ni enfantin, ni idiot. Authentique aussi dans la retranscription du texte, dans les personnages que Claudel a pensés. Le drame est particulièrement bien construit, les sentiments sont vrais. Je connais bien le public de l’opéra, il fallait qu’il y ait dans cette nouveauté une relation avec ce que le public connaît. J’ai donc joué la carte opéra, en respectant ses formes. Il y a une narration que l’on peut suivre, des arias, des duos, des trios. J’ai pris en charge les codes de l’opéra, en les dépoussiérant pour certains.
CP : Je dirais « gigantesque ». Sincèrement, cette œuvre est extraordinaire, au sens propre d’abord : la résurrection d’un enfant le soir de Noël, un miracle. C’est une pièce qui nous demande à tous une foi dans la fiction, il faut y croire !

Propos recueillis par Quentin Laurens.

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Quentin Laurens

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