Les quatre-vingt-dix ans de l’Orchestre national de France

Jubilant jubilé

En compagnie de son directeur musical Cristian Măcelaru, l’Orchestre national de France clôt avec éclat le jubilé célébrant son quatre-vingt-dixième anniversaire.

Jubilant jubilé

ENTIÈREMENT CONSACRÉ À DES ŒUVRES écrites par des compositeurs français, le cycle de quatre concerts organisé en mars pour fêter l’anniversaire de l’Orchestre national de France nous conduit à reposer l’éternelle question : qu’est-ce que la musique française ? Ou, en d’autres termes : y a-t-il une parenté, et laquelle, entre Saint-Saëns et Dutilleux, entre Bizet et Jacques Ibert ? Faut-il chercher un critère français, comme le serait le chant pour la musique italienne ou la métaphysique pour la musique allemande (critères tout aussi vains et réducteurs, évidemment) ? On laissera la réponse au compositeur Gérard Condé, qui nous a laissé bien des écrits sur Berlioz, Gounod et autre Massenet* : « Ainsi n’y a-t-il pas de musique française à proprement parler, mais des musiques atypiques, écrites pour le bonheur des auditeurs sans préjugés et le malheur de ceux qui voudraient que les jardins de l’histoire de la musique ne soient pas ainsi ouverts sur la campagne, à l’esprit frondeur des satyres et aux parades équivoques des nymphes de barrières. »

Écoutons donc chacun des compositeurs pour lui-même, comme il convient de le faire pour tous les artistes de tous les temps et de tous les pays. À commencer par Ravel, dont Le Tombeau de Couperin ouvrait le concert du 30 mars. L’Orchestre national excelle dans cette musique subtile, étrange, d’une infinie délicatesse de coloris. On n’en finit pas de s’extasier sur la majesté faussement boiteuse de la Forlane, mais c’est peut-être le Menuet, qui n’a jamais sonné avec autant de chaleur, que l’orchestre et son directeur musical Cristian Măcelaru interprètent avec le plus de malice.

Coucou !

On change d’effectif avec Oiseaux exotiques, page créée en 1956 dans le cadre des concerts du Domaine musical. Olivier Messiaen s’y fait oiseau lui-même : tel un coucou (ou une pie voleuse ?), il fait siens les chants des oiseaux qui deviennent la matière d’une œuvre écrite pour piano, percussions et vents. Exercice de style, Oiseaux exotiques exige un aplomb rythmique infaillible de la part de l’ensemble instrumental, et une grande virtuosité de la part du pianiste. Cristian Măcelaru confirme sa maîtrise technique au pupitre ; quant à Pierre-Laurent Aimard, aussi à l’aise chez Boulez que chez Beethoven, il vient à bout sans peine de ce fouillis de ramages.

Si chaque compositeur est un monde en soi, il convient d’aborder chacune de ces musiques différemment. Or, la Symphonie en ut de Bizet, œuvre d’un adolescent désinvolte qui négligea de la faire jouer (elle fut retrouvée en 1932 et créée trois ans plus tard), mériterait d’être interprétée avec un orchestre allégé (six contrebasses, c’est trop pour un orchestre pourvu de deux trompettes et d’un timbalier, mais sans trombone ni tuba). Cette musique doit singulièrement plus à Schubert (même si au temps du jeune Bizet, les symphonies de ce dernier n’appartenaient pas à l’ordinaire des concerts), voire à Rossini, qu’à Gounod, et elle a peu à voir avec des partitions ultérieures comme la Symphonie en ré mineur de Franck, par exemple. On aurait aimé à cet égard que Cristian Măcelaru aborde cette partition très inspirée dans une veine plus intime, on n’ose pas dire plus chambriste.

L’esprit de Bacchus

En bis, car le jubilé est un festival, le National nous offre généreusement le premier volet, en forme de tarentelle, des Scènes napolitaines de Massenet (la cinquième de ses sept Suites pour orchestre, datée de 1876). L’orchestre s’en donne à cœur joie, comme il a brillé de tous ses feux, entre-temps, dans la Bacchanale de Jacques Ibert, association qui pourrait passer pour un oxymore. Quoi, le compositeur des Escales et de Paris, écrire une bacchanale ? Oui, mais il faut se méfier du titre même. Rares sont les compositeurs, comme Roussel dans Bacchus et Ariane, et surtout Ravel à la fin de Daphnis et Chloé, qui ont réussi à communiquer à l’orchestre une transe digne du mot ; souvent, comme dans Samson et Dalila de Saint-Saëns, le décalage entre le mot et le résultat sonore prête à sourire. Et il ne faut pas compter sur l’ajout d’épices orientales (rythmes déhanchés, percussions exotiques, etc.) pour ajouter de l’ivresse s’il n’y a pas d’inspiration au départ.

La Bacchanale d’Ibert, fruit d’une commande de la BBC, créée en 1956 à Londres sous la direction d’Eugene Goossens, commence comme la Danse du sabre et se poursuit à la manière d’un mouvement frénétique de Chostakovitch, avec martèlement des cordes, cuivres déchaînés, percussions effrénées. Le tout sonne un peu creux, la musique tourne à vide, mais grâce à l’interprétation trépidante de l’Orchestre national, Ibert éclate de santé : il a beau essayer de se déboutonner, l’orchestre lui garde sa tenue.

Un mot sur le Philhar

N’oublions pas que l’Orchestre national de France est l’une des deux formations symphoniques de Radio France, et qu’il est possible (et recommandé) d’écouter l’intégralité de ses concerts, en direct ou en différé, sur l’antenne de France Musique. C’est le cas aussi de l’Orchestre philharmonique, qui pour sa part vient d’interpréter une captivante Symphonie héroïque de Beethoven, sous la direction de Maxim Emelyanychev. Le Philhar nous fixe rendez-vous avec son directeur musical Mikko Franck, à l’occasion d’une intégrale des symphonies de Sibelius, les 10, 11 et 12 avril prochain. Nous y serons.

* Il nous annonce un prochain Massenet, à paraître aux éditions Bleu-Nuit.

Vient de paraître : les Symphonies n° 1, 2 et 3 et les Rhapsodies roumaines n° 1 et 2 de George Enescu par l’Orchestre national de France, dir. Cristian Măcelaru (3 CD DG).

Illustration : frontispice du Tombeau de Couperin (dr)

Ravel : Le Tombeau de Couperin – Messiaen : Oiseaux exotiques – Bizet : Symphonie en ut majeur – Ibert : Bacchanale. Orchestre national de France, dir. Cristian Măcelaru. Auditorium de Radio France, 30 mars 2024.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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