2025, une année Boulez

Il y a un siècle, Pierre Boulez

L’anniversaire de la naissance de Pierre Boulez (1925-2016) va donner lieu à un grand nombre de manifestations un peu partout dans le monde. Les Siècles viennent de contribuer à cette célébration en abordant « Pli selon pli », l’une des partitions majeures du musicien.

Il y a un siècle, Pierre Boulez

EN 1957, PIERRE BOULEZ METTAIT EN TRAIN, sous le titre Improvisations sur Mallarmé, une page qui allait devenir l’une de ses œuvres les plus ambitieuses. Créées en 1958 sous la direction de Hans Rosbaud, avec la participation de la soprano Ilse Hollweg, les Improvisations furent peu à peu enrichies sous le nouveau titre Pli selon pli jusqu’à leur version définitive, en 2001, à l’occasion de l’enregistrement effectué sous la direction de Boulez lui-même, à la tête de l’Ensemble intercontemporain, en compagnie de Christine Schäfer. Boulez fut toujours un adepte de ce qu’on appelle le working in progress (« travail en devenir »), et c’eût été une erreur de le croire, au fil de sa longue carrière, lorsqu’il annonçait en avoir terminé avec tel ou tel de ses ouvrages : déjà, la version de Pli selon pli créée le 9 juillet 1962 au Concertgebouw d’Amsterdam était annoncée comme « complète et définitive » !

Ce 7 janvier 2025 cependant, c’est bel et bien Pli selon pli dans son ultime profil qu’on a pu entendre, interprété par Sarah Aristidou, dont on aurait attendu un timbre plus rond, même si la chanteuse vient à bout sans effort de la longue vocalise sur « A » qui est au cœur de la partition. Certaines questions restent en suspens : faut-il que l’on comprenne chaque mot des poèmes de Mallarmé choisis par Boulez, ou ceux-ci ne sont-ils que des inspirateurs ? (On pense à Epifanie de Berio, qui mêle des textes de Proust, Joyce, Brecht, Claude Simon et quelques autres, sans qu’on sache très bien ce qu’ils ont à voir entre eux et s’il faut ou non les identifier à défaut de les entendre clairement.) Au fait, faut-il réellement une voix ronde pour interpréter Pli selon pli ? Ne serait-ce pas là, en réalité, un artifice pour rendre plus douce une musique qui n’est pas faite que de séduction ?*

Déplier la partition

Et puis : quelle est la forme de cette musique ? Avoir la partition sous les yeux n’est-il pas indispensable pour se retrouver parmi l’ordonnancement des différentes séries ? Il est vrai qu’on peut aussi se laisser prendre par le sortilège des timbres : les quatre flûtes percent le vaste ensemble instrumental, les nombreux claviers tintinnabulent comme dans une pièce d’Arvo Pärt (comparaison qui aurait fait Boulez lever les bras au ciel), cependant que la mandoline et surtout la guitare se font moins entendre que dans la Septième Symphonie de Mahler.

On salue Franck Ollu, qui dirige avec un peu de raideur mais conduit Pli selon pli sur la rive opposée au terme d’un voyage musical exigeant sinon éprouvant. L’orchestration raffinée, signée Heinz Holliger, des Trois poèmes de Stéphane Mallarmé de Debussy, qui ouvrent la seconde partie du concert, est mise en valeur avec le même talent par les instrumentistes des Siècles, mais La Mer, qui conclut le programme, ressemble plutôt à la mer de la Tranquillité chère aux expéditions lunaires. On a connu des interprétations bien plus miroitantes, houleuses, agitées, solaires, et c’est pour l’œuvre de Boulez qu’on gardera surtout souvenir de ce concert.

Un cycle et un site

Un concert qui s’inscrit dans un vaste cycle célébrant les cent ans de la naissance du musicien, lequel cycle se déploiera en France mais aussi en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, etc. On notera d’ores et déjà le concert de l’Orchestre de Paris donné les 9 et 10 janvier à la Philharmonie de Paris (Initiale), celui du 13 janvier, dans le même lieu, par le London Symphony Orchestra et Sir Simon Rattle (Éclat), et les deux concerts de l’Orchestre national de France : à la Philharmonie de Paris le 17 janvier (Notations I à IV et VII) et à Maison de la radio et de la musique le 23 janvier (Le Soleil des eaux). France Musique, évidemment, se fera l’écho de ces rendez-vous et de ceux qui suivront au cours de l’année.

La Philharmonie de Paris accueillera un colloque les 26 et 27 mars, que suivra un autre colloque, au Collège de France, les 22 et 23 mai. Des publications sont également prévues, dont un catalogue exhaustif, raisonné et illustré de l’œuvre de Boulez, par la Philharmonie de Paris, des livres de correspondance (avec Stockhausen, Henri Pousseur et Pierre Souvtchinsky), et des ouvrages plus personnels signés Gaëtan Puaud et Laurent Bayle. Un site internet (www.pierreboulez.org) recense toutes ces initiatives : il est bien sûr lui-même in progress.

Illustration : Pli selon pli, un peu plus qu’un ensemble instrumental, un peu moins qu’un orchestre (photo Théâtre des Champs-Élysées/Cyprien Tollet)

* On écoutera la version enregistrée en 1969 sous la direction du compositeur, avec la soprano Halina Lukomska et l’Orchestre symphonique de la BBC (rééditée en 1995 par Sony), peut-être plus sensuelle que les versions ultérieures (1981, avec Phyllis Bryn-Julson et le même orchestre de la BBC, et 2001, avec Christine Schäfer et l’Ensemble intercontemporain).

Boulez : Pli selon pli. Debussy/Holliger : Trois poèmes de Stéphane Mallarmé. Debussy : La Mer. Sarah Aristidou, soprano ; Les Siècles, dir. Franck Ollu. Théâtre des Champs-Élysées, 7 janvier 2025.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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