Du 27 novembre au 20 décembre 2024 au TNP - Théâtre Populaire de Villeurbanne.

Histoire d’un Cid, variation du Cid de Pierre Corneille par Jean Bellorini.

la revisitation amusée autant que pertinente d’une oeuvre emblématique.

Histoire d'un Cid, variation du Cid de Pierre Corneille par Jean Bellorini.

Naïveté, jeu et enfance, tel est le regard pétillant que le metteur en scène, adaptateur et directeur du Théâtre National Populaire de Villeurbanne, Jean Bellorini, porte sur la tragi-comédie baroque du Cid (1637) cornélien, rapprochant l’oeuvre qui peut paraître guindée pour les générations de notre temps, non dupes pourtant, et qui ne s’en réjouissent pas moins encore et toujours.

Une affaire de règles, conventions, dignité, sens du devoir et courage - cas d’honneur qui donne droit de vie ou de mort dans une société féodale hiérarchisée. Quand, après le choix du Roi de Castille de prendre Don Diègue, père de Rodrigue, pour le poste de gouverneur du Prince, le Comte, père de Chimène, valeureux mais arrogant, éprouve l’humiliation : il soufflète le rival, guerrier vaillant vieillissant.

Ni une ni deux, il revient à Rodrigue, fils de la victime du Comte, de porter l’épée paternelle glorieuse, bien embarrassante à vrai dire pour qui aime la fille du frondeur, prenant en charge en dépit de lui l’héritage familial et traditionnel d’honneur et de destin collectif. Ainsi est conté à l’adresse du public le « dilemme cornélien » par Rodrigue - François Deblock - personnage et commentateur. D’un côté, servir père et renommée en perdant l’amour de Chimène ; ou de l’autre, préserver l’amante et renier toutes les obligations filiales, héritières d’une lignée.
Le destin en décidera autrement, assurant sa foi en la jeunesse et les sentiments.

Ils sont quatre sur le plateau, Cindy Almeida de Brito pour Chimène, François Deblock pour Rodrigue, Karyll Elgrichi pour l’Infante qui, elle aussi, sacrifie son penchant pour Rodrigue non de son rang, un deuil consenti à Chimène ; et Federico Vanni en alternance avec Luca Iervolino, pour Don Diègue et Léonor, la suivante de l’Infante - il suffit de revêtir une étole rouge. Tous incarnent, observent et racontent..

Les interprète sont des acteurs lumineux irradiant la scène, prenant plaisir à faire le récit des enjeux de l’intrigue, malicieux et amusés, émus ou plus distants, ils se concentrent sur la passion et le désir de vivre dans l’hommage rendu aux anciens, sous-entendant que les compromis ont droit de cité existentiel dans toute vie.

Foulant ou bien contournant un immense drap blanc recouvrant la scène, l’espace entre la mer et le ciel ou entre le rivage et les terres intérieures. C’est une caravelle, un navire à voiles et à hauts bords, un jouet miniaturisé - rappel claudélien - qui jette ses ombres sur les remparts blancs d’un château de plage gonflable - reprise lointaine et ludique de la résidence royale de l’Alcazar sévillan.

Percussions et claviers, jeux d’ombres et de lumières, E la nave va, la magie scénique oeuvre, libérant l’émerveillement et l’imaginaire, tandis que les acteurs sautent sur la structure gonflable comme sur un trampoline, ou bien la quittent quand elle se rétracte. Reste le cheval de bois verni enfantin de Rodrigue, un lustre de lumière oblong qui habille le décor, la sculpture religieuse colorée d’une Vierge à l’Enfant, et les grilles ouvragées de style mudéjar à peine esquissées sur le lointain.

Le couple de jeunes amants tient sa ligne : Cindy Almeida de Brito est juste et pertinente pour la sobriété de Chimène, et François Deblock joue fort sur l’émotion du public ; il chante SOS d’un terrien en détresse de Michel Berger et Luc Plamondon (1978) de l’opéra rock Starmania, chanson composée sur deux octaves et demie pour la rare tessiture de Daniel Balavoine, endossée aisément à son tour par notre Rodrigue d’aujourd’hui. Et le Blues de Don Diègue - Federico Vanni- vaut son pesant théâtral, entre sagesse et révolte, bonhomie et art de vivre, acculé à sublimer le verdict désuet : « L’amour n’est qu’un plaisir, l’honneur est un devoir ».

Reste l’humanité de la royale Infante qui souffre d’aimer, versant des pleurs sincères. La subtile Karyll Elgrichi exprime ses états d’âme, écrivant une lettre à Rodrigue jamais envoyée : « …Je voulais te dire ce que je crois, c’est qu’il fallait toujours garder par devers-soi, voici, je retrouve le mot, un endroit, une sorte d’endroit personnel, c’est ça, pour y être seul et pour aimer… Pour garder en soi la place d’une attente, on ne sait jamais, de l’attente d’un amour, d’un amour sans encore personne peut-être, mais de cela et de seulement cela, de l’amour… »

Un digne et beau spectacle populaire de rare intensité et de fraîcheur ludique acidulée et colorée, « réveillant » une œuvre littéraire-culte, conciliant la jeunesse et l’âge avancé, au-delà des paradoxes entre passion et raison, rêve et réalité.

Histoire d’un Cid, variation autour du Cid de Pierre Corneille, adaptation collective du texte, mise en scène de Jean Bellorini. Avec Cindy Almeida de Brito, François Deblock, Karyll Elgrichi, Clément Griffault (claviers), Benoit Prisset (percussions), Federico Vanni en alternance avec Luca Iervolino, collaboration artistique Mélodie-Amy Wallet, scénographie Véronique Chazal, lumière Jean Bellorini assisté de Mathilde Foltier-Gueydan, son Léo Rossi-Roth, composition musicale Clément Griffault et Benoit Prisset costumes Macha Makeïeff assistée de Laura Garnier, vidéo Marie Anglade. Du 27 novembre au 20 décembre 2024, du mardi au vendredi 20h, samedi 18h30, dimanche 16h, au Théâtre National Populaire de Villeurbanne. 8 place Lazare-Goujon, tnp-villeurbanne.com. Les 19 et 20 février 2025, La Coursive, scène nationale de La Rochelle. Les 27 et 28 février 2025, Le Bateau Feu, scène nationale de Dunkerque. Du 5 au 7 mars 2025, Comédie de Reims. Les 13 et 14 mars 2025, La Faïencerie, Creil. Les 3 et 4 avril 2025, Théâtre de Nîmes. Le 11 avril 2025, Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France. Le 6 mai 2025, Théâtre de Privas. Du 15 mai au 15 juin 2025, Théâtre Nanterre-Amandiers.
Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.

A propos de l'auteur
Véronique Hotte

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook