Hérodiade tambour battant

Hérodiade n’est pas l’opéra de la demi-teinte. Mais Daniele Rustioni lui restitue toute son efficacité.

Hérodiade tambour battant

WERTHER ET MANON APPARTIENNENT AU RÉPERTOIRE de bien des théâtres lyriques français. Mais d’autres opéras (Hérodiade, Thaïs, sans parler d’Esclarmonde, de Cendrillon ou de La Navarraise, parmi l’abondante production de Massenet), font aujourd’hui figure de relatives raretés. La Biennale Massenet de Saint-Étienne, qui avait notamment remis à l’honneur Panurge, Le Cid, Le Roi de Lahore et Ariane, n’est plus là pour défendre un compositeur dont la gloire fut immense à la bascule du XIXe et du XXe siècle. C’est donc à l’initiative conjointe de l’Opéra de Lyon, du Palazzetto Bru Zane et du Théâtre des Champs-Élysées qu’on a pu réentendre Hérodiade, opéra inspiré d’Hérodias (l’un des Trois contes) de Flaubert.

Hérodiade a connu un destin mouvementé. Créé en 1881 à La Monnaie de Bruxelles dans une version en trois actes, l’ouvrage fut repris en italien à la Scala de Milan l’année suivante. Réorganisé en quatre actes, il fut donné à Paris… mais en italien, au Théâtre des Italiens, en 1884, et ne fit son entrée à l’Opéra de Paris, dans sa version définitive en français, qu’en 1921. C’est cette version qu’a emmenée Daniele Rustioni, à la tête des Chœurs et de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, avec une belle générosité. Car il faut croire en cette musique pour qu’elle ne sombre pas dans le double écueil qui la menace à plus d’un détour : la mièvrerie sentimentale (le premier air de Jean avec solo de violon), la trempe martiale (le chœur « Nous sommes romains ! »). Le livret de Paul Millet et Henri Grémont, très loin du luxe narratif d’un Flaubert, est pour beaucoup dans l’impression que produit l’opéra : on n’y trouvera que peu de demi-teintes et de non-dits. L’histoire, les personnages, les situations, tout est là, sans ombre ni ambiguïté, et Massenet illustre l’ensemble avec une efficacité qui ne laisse pas de place à la suggestion, a fortiori à l’humour. On est loin également de la Salomé de Richard Strauss (créée en 1905 à Dresde), dont on rappellera qu’il existe une version composée directement par Strauss sur le texte français d’Oscar Wilde – Wilde, il est vrai, qui n’avait rien d’un tâcheron. On imagine quel opéra Spontini aurait pu écrire sur un même sujet !

Hérodiade a le titre, mais ce n’est pas elle, au bout du compte, qui tient le rôle principal. Plusieurs personnages peuvent y prétendre, notamment Salomé, qui chez Massenet est éprise de Jean (Jean-Baptiste, bien sûr), qui à son tour est amoureux d’elle. Quant à Hérode, l’époux d’Hérodiade, il est lui aussi amoureux de Salomé, qui le déteste… sachant que Salomé n’est autre que la fille d’Hérodiade. Ce drame familial se joue bien sûr sur un fond historique où l’on croise des Pharisiens et des Samaritains qui se querellent alors qu’ils annoncent la fin de la domination des Romains.

Phanuel, le rôle-pivot

Il y a encore Phanuel, tout à la fois confident, messager et presque narrateur, chanté ici par le toujours solide (et insinuant quand il le faut) Nicolas Courjal, aussi convaincant dans son duo du premier acte avec Hérode que dans sa grande scène du début du troisième acte (« Dors, ô cité perverse »). Jean-François Borras est un peu tout d’une pièce dans le rôle de Jean, mais peut-il faire autrement avec un rôle d’amoureux souffrant, brossé de manière aussi simple par Massenet ? Étienne Dupuis est un Hérode autoritaire, vocalement nuancé (son air « Vision fugitive »), amoureux transi lui aussi devant la Salomé de Nicole Car dont chaque intervention est spectaculaire (dès son air « Il est doux, il est bon »), malgré quelques aigus un peu trop cinglants. On devine que ce personnage avait la préférence du compositeur, là où le rôle-titre est réduit à une suite d’hésitations et de remords, Ekaterina Semenchuk, le timbre épais, la diction pâteuse, soulignant plus qu’il ne faut la douleur appuyée du personnage.

On citera aussi la fraîcheur de Scopelliti en jeune Babylonienne, et on appréciera la manière dont Daniele Rustioni, comme on l’a dit, donne toutes ses chances à une partition qu’il sauve plus d’une fois de l’emphase impuissante (la scène entre Hérodiade et Phanuel !) grâce au souci, notamment, de faire sonner avec le plus de relief possible les intermèdes instrumentaux. Hérodiade lui convient mieux que Les Troyens qu’il a dirigés à Munich au printemps dernier, et il fait chanter ici les flûtes, les cors, les altos, mais aussi le saxophone (saluons pour une fois une belle trouvaille de Massenet) d’un Orchestre de l’Opéra de Lyon à son meilleur. Le chœur est tout aussi vaillant. On aime le moment où il chante avec recueillement « Schemah ! Israel ! » et on apprécie le fait qu’il garde toute sa cohérence dans les nombreux moments de véhémence un peu carrée que Massenet lui a réservés.

Peut-on aborder d’une autre manière Hérodiade ? Ce concert en tout cas montre comment il est possible de faire oublier partiellement les faiblesses d’une partition en jouant sans complexe la carte du premier degré.

Illustration : Hérodias et Salomé par Paul Delaroche (dr)

Massenet : Hérodiade. Ekaterina Semenchuk (Hérodiade), Nicole Car (Salomé), Jean-François Borras (Jean), Étienne Dupuis (Hérode), Nicolas Courjal (Phanuel), Paweł Trojak (Vitellius), Pete Thanapat (Le Grand-Prêtre), Robert Lewis (Une voix dans le temple), Giulia Scopelleti (Une jeune Babylonienne) ; Chœurs (dir. Benedict Kearns) et Orchestre de l’Opéra de Lyon, dir. Daniele Rustioni. Théâtre des Champs-Élysées, 25 novembre 2022.
Ce concert sera diffusé le samedi 7 janvier 2023 à 20h sur France Musique.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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