Géantes de Murielle Magellan
Une incroyable métamorphose
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- 1er septembre 2021
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Les auteurs de théâtre abordent souvent d’autres langages, et notre site les suit parfois dans leurs aventures parallèles. Murielle Magellan, dont les pièces Pierre et Papillon, Traits d’union et L’Eveil du chameau ont révélé un art très heureux du langage dramatique, publie ce mois-ci un roman, Géantes, qui sera sans doute l’une des surprises de la rentrée littéraire. (Elle a aussi réalisé un film qui sortira l’an prochain, mais ne nous dispersons pas face à une personnalité si multiple !).
Géantes est donc un roman (le sixième de Murielle Magellan), qui pourrait être une pièce, ou un film. C’est l’histoire d’une transformation qui, dans sa trame, pourrait rappeler Ionesco (souvenons-nous d’Amédée ou comment s’en débarrasser : un corps grandit, et rien n’arrête sa croissance) mais part dans une autre direction, qui est celle d’une fable jamais grotesque, d’une parabole irréelle et pourtant crédible, tant les composantes sont celles des vies de chacun de nous, et surtout de chacune. L’héroïne est une femme dans un monde où l’égalité des sexes est encore un principe bien mal mis en œuvre. Sujet banal, mais brûlant, mais ici allumé à un nouveau feu.
Dans une ville du Sud-Ouest, Laura, qui s’occupe de la petite entreprise de son mari, est amenée, de façon, à dialoguer en public avec un écrivain japonais. Elle remplace à brûle-pourpoint le spécialiste qui devait assurer le débat. Elle s’y révèle si connaisseuse et si pertinente que tout se met à changer autour d’elle. On la regarde d’un autre œil, on lui propose un autre travail, ses relations avec les gens qu’elle rencontre prennent une épaisseur inattendue, son ménage explose, sa sensualité s’aiguise et son corps … s’allonge. Les fantômes de la littérature et du théâtre japonais se promènent, invisibles, dans le lointain mais on sent qu’ils distillent dans cette mutation occidentale un peu de résonance orientale.
Jusqu’où ira cette incroyable métamorphose d’une femme libérée de ses mesures de bourgeoise jusqu’alors moyenne en tout ? C’est, évidemment, le sel du livre qui qui additionne les moments d’étonnement. Mais l’une des originalités de l’ouvrage est qu’il est fait de deux narrations avançant dans le même temps : celle de Laura femme au seuil du gigantisme, celle de l’auteur qui dévoile un instant et une hantise de sa vie d’écrivain. Passant à l’émission de François Busnel La Grande Librairie, elle a été provoquée par un autre invité, Andreï Makine, sur le thème du vieillissement féminin. Comment peut-on s’adresser ainsi à une femme ? Pour la séduire ? Pour l’humilier ? Les réactions de Murielle démontent, d’une pensée à l’autre, d’une notation à l’autre, la bravade du brillant goujat. Le récit intime se place en miroir de la fiction au rythme de chapitres alternés. Laura la géante et Murielle l’écrivante divergent et se ressemblent. Elles filent ensemble sur deux routes jumelles où chacune bouscule le moule où on la bride et accède à des libertés dont elles ne jouissaient pas. Elles ne sont pas des doubles, elles ne sont pas de la même matière vivante. Recourant à un alliage inattendu, Murielle Magellan fait se répondre le vrai et le faux, le réel et le fictif, les coulisses de l’écriture et la scène de l’imaginaire.
L’auteur jouant avec sa créature et se dépeignant lui-même, ce pourrait être un jeu à la Diderot. Mais Murielle Magellan ne jongle joyeusement avec la forme que jusqu’à un certain point. Avec gravité, elle traque deux vérités pour réussir la fusion d’un récit populaire et de confidences pour les fous de littérature. Le théâtre n’y a qu’une place fort mince, mais il se faufile dans l’arrière-scène de ce conte d’aujourd’hui, d’une délicieuse saveur moderne et mythologique.
Géantes de Murielle Magellan. Editions Miallet-Barrault, 288 pages, 19 euros.
Photo Pascal Ito, Flammarion.