Fidelio prisonnier, Fidelio libéré

Claquemuré dans une mise en scène étouffante, l’opéra de Beethoven se libère à la Salle Favart par le chant. N’est-ce pas ce que la musique peut nous offrir de plus beau ?

Fidelio prisonnier, Fidelio libéré

IL N’EST PAS CERTAIN que Cyril Teste, qui signe le Fidelio représenté à l’Opéra Comique, ait voulu montrer comment certains opéras, pris en otage par des mises en scène qui ne pensent qu’à les emprisonner, parviennent à échapper à leurs geôliers. Car cette production est un fort bel exemple de la manière dont la musique réussit à prendre la fuite et à nous emmener très loin avec elle.

De quoi s’agit-il ? D’un ouvrage qui raconte la manière dont une jeune femme se déguise en garçon pour devenir l’assistant du gardien d’une prison dans laquelle est enfermé son mari ; stratagème qu’elle utilise pour libérer le malheureux et sceller l’union bénie de l’amour et de la liberté.

Beethoven a conçu sa partition sur le modèle du singspiel, qui fait alterner le chant et le dialogue, mais glisse peu à peu vers un héroïsme qui a peu à voir avec la familiarité des premiers numéros. Pour le mettre en scène, Cyril Teste n’a pas trouvé meilleure idée que de reprendre un procédé épuisant : la-ca-mé-ra-qui-fil-me-en-temps-ré-el. Nous avons droit une fois de plus au cadreur sur scène, qui filme en direct les visages des protagonistes, lesquels sont projetés sur un écran géant. Et quand le procédé finit par avouer sa vanité, le même cadreur filme des images filmées et nous impose au premier plan la reproduction des images que l’on voit au fond sur un mur d’images ! Ainsi, dès l’ouverture, nous avons droit au passage à tabac du mari (Florestan) et au déguisement de la femme en garçon (Leonore devient Fidelio).

Cette technique fut utilisée pour la première fois en 2007, à notre connaissance, à l’occasion d’une brillante production de La pietra del paragone de Rossini au Châtelet* ; depuis lors, on la retrouve partout, elle est devenue un poncif, une facilité utilisée par des metteurs en scène qui font ainsi l’économie d’une direction d’acteurs fouillée. À l’Opéra Comique, il faut donc supporter des images envahissantes, épuisantes, qui dévorent la musique et substituent au théâtre une vision carcérale de la scène : vous n’en sortirez pas ! semble nous dire le metteur en scène. Le comble du ridicule est atteint quand Leonore, tout à coup, s’empare de la caméra pour montrer quelle arme, bien plus efficace qu’un pistolet, elle tient là entre les mains ! Et quand par miracle le cadreur quitte la scène pour quelques minutes, pendant le trio du second acte, on respire, mais ce n’est là qu’un bref répit. On ajoutera que l’action se passe dans une prison d’aujourd’hui, style Guantanamo, avec pendant les dialogues des bruitages divers (serrures, rumeurs, etc.) pour créer l’ambiance.

La vertu (musicale) récompensée

La morale de cette production, cependant, c’est que Fidelio, traqué par une caméra de vidéo-surveillance, réussit à s’échapper par la vertu de la musique. La distribution réunie est tout à fait réjouissante, qui réunit notamment une Marzelline fruitée (Mari Eriksmoen), avec ce qu’il faut pour tenir tête à ses partenaires dans le quatuor, un Rocco solide (Albert Dohmen) dans la tradition des pères de famille débonnaires, et un Pizarro noir et féroce (Gabor Bretz), peu servi hélas par le spectacle qui en fait un méchant de parodie.

Michael Spyres est un Florestan particulièrement chaleureux, dont le « Gott ! » introductif, pris très piano, se déploie sur un crescendo saisissant. Barytenor, certes, mais finalement plus ténor que baryton, Spyres réussit à dépasser le paradoxe de son personnage, prisonnier épuisé, sous-alimenté, oublié dans le noir, et tout à coup exultant, héroïque, lorsque Leonore vient le délivrer et chante avec lui l’euphorie de l’amour conjugal. Voilà un chanteur hors du commun, aussi à l’aise en Florestan qu’en Faust chez Berlioz, aussi convaincant dans le répertoire baroque que dans Le Postillon de Lonjumeau vu et entendu à l’Opéra Comique en 2019.**

Le cas de Siobhan Stagg est plus délicat. Voilà une chanteuse qui a été contrainte d’annuler les deux premières représentations de cette série et qui, à l’occasion de « sa » première, effectue ici une prise de rôle. Si la comédienne est très présente au fil des nombreuses prises de vue qui nous montrent ses yeux et sa physionomie, elle est en revanche une Leonore assez discrète, à la voix peu volumineuse et d’un timbre un peu pâle. Les duos avec Florestan sont légèrement déséquilibrés, mais il s’agit moins là des qualités de la chanteuse, en soi pleine de probité, que des rapports (de couleur, de puissance) qu’elle entretient avec ses partenaires. Prudence des premières fois ?

Le Chœur Pygmalion manque un peu de vaillance, surtout dans les voix masculines, mais l’Orchestre Pygmalion, lui, fait preuve d’une belle énergie, au point qu’on aimerait que Raphaël Pichon calme un peu l’ardeur de ses timbales, très sonores dans la salle de l’Opéra Comique où l’on entend tout. Le souvenir de Mozart est un peu plus qu’un souvenir, la couleur des cors fait merveille dans l’air de Leonore « Abscheulicher ! », le hautbois est pimpant, et on sait gré à Raphaël Pichon d’avoir intégré dans la partition, à la fin du second acte, la version longue du quintette d’une beauté sublime prévu par Beethoven dans la toute première version de son opéra.

Illustration : Siobhan Stagg (Fidelio/Leonore). Photo Stefan Brion.

* Elle existe en dévédé (Naïve V 5099), mais un petit écran ne peut pas rendre l’impression créée par… un système d’écrans dans un théâtre.
** Michael Spyres sera l’invité de la série « L’Instant lyrique », le lundi 4 octobre à la Salle Gaveau.

Beethoven : Fidelio. Siobhan Stagg (Leonore), Michael Spyres (Florestan), Mari Eriksmoen (Marzelline), Linard Vrielink (Jaquino), Albert Dohmen (Rocco), Gabor Bretz (Pizarro), Christian Immler (Fernando) ; Maîtrise populaire de l’Opéra Comique, Chœur et Orchestre Pygmalion, dir. Raphaël Pichon ; mise en scène : Cyril Teste. Opéra Comique, 29 septembre 2021.
Prochaines représentations les 1er et 3 octobre (celle du 1er octobre sera visible en direct sur arteconcert.com).

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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