FAUST de Charles Gounod
Michel Plasson, sauveur d’un Faust maudit
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- 6 mars 2015
- Critiques
- Opéra & Classique
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La poisse aura décidément imprégné cette production du Faust de Charles Gounod qui devait succéder à la légendaire mise en scène de Jorge Lavelli laquelle aura tenu le haut de l’affiche durant 36 ans. Le 22 septembre 2011, soir de première, Satan s’en est mêlé par l’intermédiaire de deux syndicats de techniciens qui décidèrent, en son nom, de faire grève. Les spectateurs de cette première tant attendue d’un nouveau regard sur le chef d’ œuvre de Gounod eurent droit à quatre rangées de chaises grises sur fond de scène noir deuil, avec, en prime pour le rôle-titre, le ténor star Roberto Alagna visiblement de mauvais poil pour tous ces contretemps et le clash de sa querelle avec le chef Alain Lombard. (voir WT 2961 du 27 septembre 2011)
La nouvelle mise en scène de Jean-Louis Martinoty ne fut visible que quelques jours plus tard. Elle déclencha une hostilité telle qu’elle découragea les journalistes frustrés du premier soir pour un éventuel nouveau tour de piste.

C’est pourtant cette production âprement contestée qui fut reprogrammée dans le cadre de la dernière saison orchestrée par Nicolas Joël, prédécesseur de Stéphane Lissner, l’actuel patron de la maison. Qui décida – en accord avec le chef d’orchestre -, de confier à un nouveau metteur en scène la tâche de repenser la réalisation d’origine. Jean-Romain Vesperini, metteur en scène de théâtre ayant assisté quelques vedettes de cette fonction comme Peter Stein, Georges Lavaudant, Jérôme Savary ou Luc Bondy, hérita à la fois de la tâche et du décor envahissant de Johann Engels, une structure frontale d’échafaudages blancs où serpentent des escaliers en colimaçons et simulent côté cour les esquisses d’une bibliothèque empoussiérée. A lui d’y faire figurer l’antre de travail du vieux Faust et les différents lieux où le patriarche rajeuni, ayant vendu son âme au diable, va vivre ses amours malheureuses avec Marguerite. Quelques meubles et accessoires sont posés au centre du décor imposé, tour à tour bureau, bar, église, jardin ou cimetière où explose un cercueil. Résultat bâtard dans des costumes des années trente du dernier siècle où la pauvre Marguerite, en rouge et vert, se trouve fringuée comme une marchande quatre saisons. Petit lot de consolation à la médiocrité de la mise en scène et des décors : les chorégraphies enjouées de Selin Dündar qui saupoudrent d’humour les ballets.

Heureusement il y a la musique et pour elle Michel Plasson transporte l’orchestre dans les méandres intimes de la partition de Gounod. Le vétéran qui fut trente ans durant l’âme de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, qui avait déjà dirigé à Paris ce Faust sous l’ère Liebermann quand Lavelli en signa la fameuse mise en scène, prend son temps, ne précipite rien, ciselle les langueurs, modèle les harmonies, en colore les nuances d’une gouache légère, presque impressionniste qui lui valut une ovation.
Distribution cosmopolite pour un ouvrage français avec la plupart des premiers rôles confiés à des chanteurs venus d’autres horizons. Qui heureusement ont pour la plupart réussi l’articulation de la diction. On peut le plus souvent les comprendre sans avoir recours aux sur-titrages. Ainsi le ténor polonais Piotr Beczala compose un Faust touchant, presque timide avec une tessiture claire qui ne cherche aucun effet, des aigus justes mais sans éclat provocateur qui habillent d’émotion notamment le célèbre « Salut demeure chaste et pure ». La basse russe Ildar Abdrazakov s’amuse visiblement à faire le méchant en Méphistophélès de music-hall, le timbre un rien étroit auquel il manque ces graves ravageurs venus de l’enfer mais qui au fil du spectacle finissent par prendre l’ampleur et la noirceur qui lui conviennent. La bulgare Krassimira Stoyanova malgré le déguisement qui la fagote impose une Marguerite plus réfléchie qu’ingénue aux phrasés opulents qui confèrent à sa ballade du Roi de Thulé et à son grand air « Ah je ris de me voir si belle en ce miroir » une intériorité inattendue. Le baryton canadien Jean-François Lapointe, unique francophone des premiers rôles, donne du nerf et de la virilité à un Valentin tout de jeunesse vibrante. Anaïk Morel, mezzo-soprano originaire de Lyon, donne à Siebel sa silhouette fragile d’ado et sa voix frémissante, Doris Lamprecht, l’autrichienne familière des tréteaux parisiens, est parfaite en Dame Marthe jouant au chat et à la souris avec le diable, Damien Pass ex pensionnaire de l’Atelier Lyrique assure discrètement le rôle du serviteur Wagner. Le haut niveau des chœurs de l’Opéra de Paris n’est plus à souligner, ici, comme d’habitude, ils misent sur le sans faute.
Faust de Charles Gounod, livret de Jules Barbier et Michel Carré, orchestre et chœurs de l’Opéra National de Paris, direction Michel Plasson, chef des chœurs José Luis Basso, mise en scène Jean-Romain Vesperini, décors Johan Engels, costumes Cédric Tirado, lumières François Thouret, chorégraphie Selin Dündar. Avec Piotr Beczala (et Michael Fabiano les 25 & 28 mars), Ildar Abdrazakov, Krassimira Stoyanova, Jean-François Lapointe, Anaïk Morel, Doris Lamprecht, Damien Pass.
Opéra Bastille, les 2, 5, 9, 12, 18, 25 & 28 mars à 19h30, les 15 & 22 mars à 14h30.
08 92 89 90 90 – +33 1 72 29 35 35 - www.operadeparis.fr
Photos Vincent Pontet