Paris, Théâtre du Marais

Eva Peron de Copi

Chronique d’une mort annoncée

Eva Peron de Copi

Sous la plume irrévérencieuse de Copi, la très populaire Eva Peron, reine du populisme, manipulatrice d’excellence, construit sa légende à mains nues, fabrique un scénario dramatique de telenovela à jeter en pâture aux médias et au peuple ; elle travaille à ériger sa statue pour mystifier le monde et filer en douce sur la Riviera dépenser sa fortune, abandonnant sa mère à la rue et Peron à ses migraines. La généreuse Evita, icône nationale, petite sœur des pauvres, n’hésite pas à faire tuer la pauvre infirmière censée la soigner pour la faire embaumer à sa place. La pauvrette qui vouait une vénération éternelle à Eva n’aurait jamais imaginé plus grand bonheur que d’avoir l’honneur de jouer la doublure de son cadavre.

Comme l’ensemble de l’œuvre de Copi, cette fable politico-médiatique corrosive, dont le grotesque est à la mesure de la violence dénoncée, ne se laisse pas maîtrisée aisément. On dit que seuls les Argentins sont à même de capter le flux tumultueux de ce théâtre survolté. Alfredo Arias fut d’ailleurs le premier à mettre en scène la pièce, interprétée par Facundo y Marucha Bo ; récemment c’est le neveu de ces derniers, Marcial di Fonzo Bo, qui s’en est emparé avec l’équipe du Théâtre des Lucioles et avec brio (la pièce a été représentée à Buenos Aires où elle était interdite jusques-là).

Chaque phrase d’Eva Peron est une porte ouverte sur l’imaginaire, un terrain miné pour une jeune compagnie enthousiaste qui pourrait se laisser prendre au piège de la tentation de la surenchère. C’est justement ce qu’a su éviter la jeune compagnie Etat-Limite. Les metteurs en scène Martin Viélajus et Mélina Vernant ont cerné au plus juste l’esprit de la pièce, entre farce insolente et tragédie politique. Evitant toute extravagance gratuite, ils ont veillé à ce que le moindre détail fasse sens.

La scénographie de Mélina Vernant (à qui on doit aussi les lumières et les costumes haut en couleurs) tire un joli profit de l’exiguïté des lieux (d’ailleurs la mise en scène joue habilement du hors champs, espace virtuel où Peron lui-même a été renvoyé). La petite scène est encombrée d’objets : une énorme malle obstrue l’espace, contraignant les déplacements des comédiens. Les valises en nombre, la télévision, l’exubérante gerbe de fleurs qui orne l’autel, les banderoles (« Evita est vivante »), le mannequin Stockman revêtu d’une belle robe blanche, futur linceul, sont autant de signes de ce qui se trame dans les coulisses du crime. Le metteur en scène n’a pas perdu de vue la dimension policière de la pièce, avec meurtre avec préméditation, complice et évasion.

Le choix de la distribution est impeccable. Perrine Demartres (Eva), est douée d’un tempérament de feu qu’il lui convient de maîtriser pour ne pas monter trop vite le curseur de la crise de nerf. Son jeu a le franc-parler populaire du personnage ; Eva donne le ton et le rythme ; elle jure, mystifie son entourage qu’elle maltraite tout son soûl sous prétexte qu’elle se meurt d’un cancer : le conseiller ombrageux son complice (Guillaume Toucas), l’infirmière (interprétation très sensible d’Alexandra Robin), fière et blessée par tant de brutalité malgré son admiration, et aussi sa propre mère, futile et idiote, à qui elle fait miroiter les codes de ses coffres en Suisse... Le rôle de la mère est tenu par l’excellente Audrey Lamarque qui a appris chez Jacques Lecoq ce que fait rire veut dire. Elle use de tous les codes du burlesque avec bonheur et avec une distance efficace. Aidée par les costumes délirant dont l’a affublée Mélina Vernant, elle rejoint l’idée initiale de travestissement (le rôle est généralement tenu par un homme). Elle forme avec Eva un duo clownesque tragi-comique très réussi qui fonctionne sur les contrastes, principe sur lequel fonctionne ce spectacle qui tient hardiment le cap au sommet de la crête à haute tension imposée par l’écriture de Copi.

Eva Peron de Copi, mise en scène Martin Vielajus ; scénographie, lumières et costumes, Mélina Vernant ; Piérick Tournier création video ; chorégraphie, Alexandra Robin. Avec Perrine Demartres, Audrey Lamarque, Alexandra Robin, Guillaume Toucas 1h10 théâtre du Marais mercredi à 20h et dimanche à 19h30. Rés. 01 45 44 88 42.

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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