Entretien avec Gaëlle Billaut-Danno

Une actrice dans la vérité du monde

Entretien avec Gaëlle Billaut-Danno

Gaëlle Billaut-Danno est étonnante et saisissante dans La Journée de la jupe de Jean-Paul Lilienfeld, mise en scène par Frédéric Fage aux Béliers parisiens (voir notre critique du 14 janvier ; la pièce a obtenu cette année le prix de la Fondation Barrière). Cette actrice, déjà très en vue dans Célimène et le Cardinal et Trahisons, réussit une remarquable et très personnelle appropriation d’un rôle qui fut d’abord la propriété d’Isabelle d’Adjani dans un film produit et diffusé par Arte, il y a dix ans. Le réalisateur, Jean-Paul Lilienfeld, a lui-même transformé son scénario en pièce. On connaît le sujet : dans une école de banlieue, exaspérée par l’attitude indifférente et parfois hostile d’une partie de ses élèves, une professeure trouve un revolver dans l’un des sacs. Elle tire et blesse l’un des garçons. Entre elle et les ados se déroule un face à face cerné par les forces de l’ordre qui ne cherchent pas à entrer dans la classe mais tentent une négociation à distance… Rappelons que la « journée de la jupe », c’est le principe, pour les femmes, de porter à un jour donné, dans une volonté d’indépendance, une jupe quels que soient les diktats sociaux et religieux.

Comment vous a-t-on proposé le rôle de la professeure ?
C’était dans la rue à Avignon, en 2018. J’étais là pour jouer Trahisons. Une femme qui travaille pour plusieurs équipes de théâtre, Marie-Paule Anfosso, m’a dit : « Vous voulez jouer La Journée de la jupe ? » Elle m’en parlait de la part du metteur en scène Frédéric Fage, et les contacts étaient en cours avec le producteur parisien, Pascal Guillaume, et le directeur du théâtre du Balcon à Avignon, Serge Barbuscia. Moi, ça me parlait, ça me passionnait. J’ai rencontré Frédéric Fage. On s’est très bien entendu, tout de suite. On a fait des lectures dans différentes salles, et le projet s’est concrétisé, jusqu’à cette reprise à Paris, aux Béliers parisiens, après la création au Balcon.
Y avait-il pour vous un problème à vous emparer au théâtre d’un rôle qui avait été créé à la télévision par Isabelle Adjani ?
Je n’ai pas pensé à Isabelle Adjani. J’ai pensé à l’importance que pouvait voir un tel sujet au théâtre. Pour moi, le théâtre a un rôle de dialogue, dans le secteur public et au-delà. J’aime qu’il y ait quelque chose d’utile dans une création. Qu’on joue une tragédie ou une comédie, j’aime bien qu’il y ait partage avec les spectateurs. Dans La Journée de la jupe, tous les sujets abordés me touchent et sont tous d’une importance capitale.
Cette situation d’une école à la dérive n’est pas plutôt quelque chose qu’on a tendance à cacher ?
Jean-Paul Lilienfeld a eu beaucoup de mal à faire son film. C’était il y a dix ans. Mais les profs maltraités, les élèves qui se maltraitent entre eux, cela a fini par sortir de l’ombre. La vie d’un professeur aujourd’hui, c’est souvent un sacerdoce et un chemin de croix. Les profs ont un rôle fondateur, mais ils ne sont pas soutenus. Il faudrait reformater l’enseignement. La pièce, c’est un constat mais elle agit comme une catharsis.
Comment avez-vous travaillé votre rôle ?
J’essaie toujours de trouver un point de jonction entre les personnages et moi. Je suis allé à la rencontre des professeurs. De par ma famille et ma belle-famille j’ai une certaine proximité avec ce sujet et les gens d’une autre culture. Beaucoup de choses me révoltent. Cette révolte passe dans mon jeu. J’aime ce personnage et les jeunes dont il est question. Cette femme représente toutes les femmes qu’on essaie de rabaisser.
Comment collabore-t-on avec Frédéric Fage ?
C’est un jeune et grand metteur en scène, jeune parce qu’il a commencé tard. Avec lui, pas de problème d’ego. On aborde mille questions. C’est lui qui a trouvé les jeunes comédiens, qui sont formidables. Il a introduit la vidéo, a un sens iconographique très fort.
Vos partenaires, qui jouent les jeunes élèves de banlieue, sont-ils en accord avec le spectacle ?
Ils sont tous contents de participer au spectacle et conscients de l’importance que cela représente. Ce sont tous des comédiens professionnels. Pour certains, c’est leur première grande prestation.
Et l’auteur, Jean-Paul Lilienfeld, comment a-t-il accepté de faire passer son projet de l’écran à la scène ?
Jean-Paul Lilienfeld avait d’abord dit non à plusieurs demandes. Mais, un jour, il a dit oui à Frédéric Fage. Il a fait l’adaptation lui-même. C’est un cinéaste, mais, jeune, il a fait un peu de théâtre. Je suis très fière, nous sommes tous très fiers de jouer son texte.
Vous avez joué à Avignon, en banlieue, vous jouez à Paris. Quelles sont les réactions ?
Il y a des gens qui se demandent s’ils sont encore au théâtre. « Mais c’est ce qu’on vit tous les jours », nous disent des enseignants. On me demande si je n’avais pas été prof avant d’être comédienne ! Très souvent, les parents et les profs nous remercient.

La Journée de la jupe de Jean-Paul Lilienfeld, mise en scène et scénographie de Frédéric Fage, lumières d’Olivier Oudiou, musique de Dayan Korolic, vidéo par la Cabane aux fées, avec Gaëlle Billaut-Danno, Julien Jacob, Abdulah Sissoko Abdulan, Hugo Benhamou-Pépin, Lancelot Chérer, Amélia Ewu, Sylvia Gnahoua.

Les Béliers parisiens. Du mardi au samedi à 21h. Dimanche 15h. Tel : 01 42 62 35 00. (Durée : 1 h 20).

Photo Olivier Allard.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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