Electre / Oreste d’Euripide

De sang et de boue

Electre / Oreste d'Euripide

Electre et son frère Oreste, enfants d’Agamemnon et de Clytemnestre, sont les derniers rejetons de la lignée des Atrides que le sadisme des dieux de l’Olympe a condamnés à s’entre-tuer. Une série de meurtres en famille qui fut le riche gisement où puisèrent , chacun à leur manière, Eschyle, Sophocle et Euripide. C’est ce dernier, parce que « ses pièces sont d’une brutalité et d’un réalisme presque contemporain », que le metteur en scène Ivo Van Hove a choisi pour retrouver les comédiens du Français avec qui il a créé Les Damnés adapté du film de Visconti et qu’il considère comme le premier volet d’un diptyque autour de la violence et de la radicalisation. Le second étant les deux tragédies Electre et Oreste qu’il noue en un concentré de fureur vengeresse rythmé par un quatuor de percussionnistes (musique Eric Sleichim). Installé en fond de scène, le scintillement de leurs gongs et timbales s’offre en contraste à l’univers blafard et dévasté du plateau aux allures de champ retourné et boueux (scénographie et lumières Jan Versweyveld). Contrastés également, comme on sépare deux mondes, les costumes (An D’Huys), modernes et bleu-roi pour les puissants et les nantis. Haillons intemporels à dominante marron-gris pour les parias, les exclus, les dépossédés, ce qu’est Electre (Suliane Brahim) depuis que, sept ans plus tôt, revenu de Troie, Agamemnon ait été assassiné par sa femme Clytemnestre et Egisthe son amant.

Mariée à un laboureur, crâne presque rasé en signe de deuil, pieds nus et volontairement dépenaillée pour mieux « montrer aux dieux l’outrage qui lui est fait » Electre a retrouvé Oreste (Christophe Montenez) frère ardemment attendu, revenu en Argos sur les ordres d’Apollon pour venger la mort de leur père et récupérer son trône. Poussé par l’implacable paquet de haine qu’est Electre, ramenant toute fois « son manteau sur ses yeux », il ira jusqu’au matricide. Condamnés à mort par le conseil de la Cité, lâchés par le pleutre et ambitieux Ménélas, (Denis Podalydès) , aidés par le fidèle Pylade (Loïc Corbery) unis dans la même volonté de « perdre ceux qui les ont perdus, faire gémir ceux qui ont causé leur misère" , le frère et la sœur vont se « radicaliser », ajouter le meurtre au meurtre, le sang au sang , sombrer dans une folie meurtrière que même l’intervention d’ Apollon (Gaël Kamilindi) ne semble pas devoir apaiser, nous suggère le metteur en scène qui, délibérément, transforme la tragédie antique en une intemporelle chevauchée sanglante que commentent et accompagnent très judicieusement les danses du chœur orchestrées en un rituel proprement sabbatique par Wim Vandekeybus .

Euripide notre contemporain, nous dit Ivo Van Hove qui, pour mieux prouver que la spirale de violence dans laquelle s’engloutissaient sous le soleil grec les bannis et les exclus d’hier, vaut pour ceux que nous rejetons ou refusons d’accueillir aujourd’hui, rajoute à la brutalité du texte la brutalité d’une mise en scène qui hausse le ton du réalisme, se vautre dans la boue et le sang. Un excès où pourrait bien affleurer des bouffées grand-guignolesques sans l’élasticité d’une troupe rompue à tous les avatars et au plus haut de son art . C’est l’ensemble de ceux et celles qui la composent sur le plateau qui est à saluer. Tous accordés comme une évidence à leur personnage nous tiennent sur le qui-vive d’un charivari d’assassinats d’où ils font surgir d’intenses moments d’émotion : celui où l’ancien esclave d’Electre (Bruno Raffaelli) reconnait en l’inconnu, Oreste, qu’il sauva du couteau d’Egiste, c’est Clytemnestre (Elsa Lepoivre) tentant vainement un geste de tendresse vers une Electre enfermée dans sa douleur et sa haine, c’est sur un autre registre Ménélas (Denis Podalydès) qui dévoile son caractère en quittant la scène comme on fuit, c’est encore Tyndare (Didier Sandre) , figé dans son deuil et la loi, annonçant froidement à Oreste son petit-fils que pour avoir tué celle qui le mit au monde il plaidera pour sa mise à mort.
A-t-on le droit de tuer sa mère pour venger celle de son père, doit-on répondre au crime par le crime, telle est bien la question que se pose et nous pose Euripide.
En dépit d’un trop plein de sang et de boue, d’une malencontreuse sonorisation des comédiens qui parfois brouille les pistes des personnages, cette entrée au répertoire de la Comédie - Française devrait faire date au même titre que Les Damnés.

Pour faire découvrir au public plus large ce « théâtre des origines fondateur du nôtre et de notre civilisation » comme le souligne Eric Ruf, le spectacle sera diffusé en direct dans 300 salles du circuit Pathé en France et à l’étranger le 23 mai à 20h15.

Electre/Oreste d’Euripide, traduction : Marie Delcourt-Curvers, Version scénique :Bart Van den Eynde et Ivo van Hove, mise en scène : Ivo van Hove avec : Claude Mathieu, Cécile Brune, Sylvia Bergé, Eric Génovèse, Bruno Raffaelli, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Julie Sicard, Loïc Corbery, Suliane Brahim, Benjamin Lavernhe, Didier Sandre, Christophe Montenez, Rebecca Marder, Gaël Kamilindi et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française. (durée 2h)

Salle Richelieu en alternance jusqu’au 3 juillet

En tournée : Athènes (Grèce) au Théâtre antique d’Epidaure 26 et 27 juillet

Photos : ©Jan Versweyveld

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

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