Écouter l’écho de la Grèce
Hélène Pierrakos signe un livre solaire sur la manière dont bien des compositeurs, de Monteverdi à Richard Strauss, ont fait leur l’héritage des temples grecs et de la lumière dont ils sont baignés.
ON NE SAURA JAMAIS PRÉCISÉMENT à quoi pouvait ressembler la musique de l’Antiquité, malgré quelques tentatives de reconstitution effectuées ici ou là par des musicologues imaginatifs. L’Antiquité grecque, en revanche, a inspiré de nombreux compositeurs, et c’est à un voyage en leur compagnie que nous convie Hélène Pierrakos.
S’il est convenu d’affirmer que l’architecture est de la musique cristallisée, Hélène Pierrakos décristallise le marbre et y trouve des failles d’où s’expriment les sonorités des voix et des instruments qui font la matière de son livre. Elle nous propose en effet d’accéder, comme elle l’écrit elle-même, « à ce monde grec autrement que par la science acquise dans les livres, les sites archéologiques ou les musées – dans l’imagination, l’enthousiasme, la libre promenade à travers les paysages et la lumière de la Méditerranée, le lien retrouvé avec des expériences humaines, fussent-elles régies par les dieux ».
N’attendons pas cependant un panorama exhaustif des musiques écrites par les compositeurs européens d’après les mythes et les paysages grecs, il y en aurait trop (Les Troyens de Berlioz, par exemple, sont absents du livre, ainsi que les œuvres de Xenakis). L’érudition est ici mise au service des choix d’Hélène Pierrakos et de sa sensibilité. Tout commence avec Monteverdi, père de l’opéra il est vrai, avec une méditation sur Le Retour d’Ulysse dans sa patrie. Entre illusion et poésie, Hélène Pierrakos nous dit comment Pénélope et son mari se rencontrent entre deux colonnes : « L’une crie “Reviens…” et l’autre lui répond “Je ne sais même pas si je suis de retour…”. » Elle nous raconte l’esprit de la danse chez Gluck, où les territoires des Enfers ou de l’Olympe le disputent à la mer, où les Ombres heureuses, dans Orphée et Eurydice, dessinent un décor idéal. Elle s’attarde à juste titre sur le duo qui réunit Pylade et Oreste dans Iphigénie en Tauride (on lui sait gré par ailleurs de faire un sort à cet opéra méconnu qu’est Paride e Elena), elle évoque la poétique des éléments qu’on trouve au cœur d’Idomeneo de Mozart.
La Grèce : un lieu, un temps, un imaginaire ?
Toute l’Allemagne, de la revue l’Athenäum à Hölderlin, de Goethe à Nietzsche, tend vers la Grèce : c’est pourquoi les lieder de Schubert et de Wolf, l’éclatante violence d’Elektra de Richard Strauss, la virtuosité théâtrale et musicale de son Ariane à Naxos, sans oublier la méconnue Daphné, sont également présents dans ce livre. Mais pour quelle raison « qualifier Elektra d’opéra expressionniste semble[-t-il] aller de soi » ?
Hélène Pierrakos aime le mot avenue, qu’elle emploie à plusieurs reprises avec bonheur. Un mot qui désigne à la fois la rue, la voie qui mène à la musique, la perspective aussi, celle qu’on entrevoit à travers la faille qui déchire le marbre, celle qui permet de distinguer, au loin, les visages d’Apollon qui habitent le dernier chapitre du livre et que dessine notamment Benjamin Britten dans Death in Venice. Un point de vue et d’ouïe parmi d’autres au sein d’un livre très personnel, écrit avec autant d’élégance que d’intuitions fécondes.
Il y avait Patience dans l’azur d’Hubert Reeves, sur l’écho du big bang. Il y a désormais, avec ces Failles dans le marbre, l’écho sans fin répercuté de la Grèce vers nos esprits inquiets et nos oreilles comblées.
Hélène Pierrakos : Failles dans le marbre, un voyage en musique vers l’Antiquité grecque, éd. Premières Loges, 2024, 133 p., 16 €.
