23e édition des Lisztomanias à Châteauroux
Dites 23, monsieur Liszt
Les Lisztomanias de Châteauroux continuent d’explorer l’inépuisable univers du compositeur hongrois. Au programme cette année : Liszt, l’athlète.
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- 20 octobre
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« SI, AU MOIS D’AOÛT, VOUS ÉTIEZ ENCORE à Nohant, nous pourrions réaliser notre ancien projet de Festival à Châteauroux », écrivait Liszt à George Sand le 30 mai 1844. C’est la phrase fondatrice qui a donné l’idée à Jean-Yves Clément, il y a bientôt un quart de siècle, de consacrer un festival à Franz Liszt en reprenant le mot (« Lisztomanie ») employé pour la première fois par Heinrich Heine dans un article publié cette même année 1844, article décrivant la fièvre qui s’emparait des auditoires à l’occasion des apparitions de Franz Liszt. Un film volontairement grotesque de Ken Russell (1975) reprend ce titre et exploite cet aspect de l’enthousiasme délirant que déclenchait le compositeur – qu’il ne faut évidemment pas réduire à cette image, sa musique et sa pensée ayant bien sûr une tout autre portée.
C’est ainsi que les Lisztomanias de Châteauroux, au fil de concerts, récitals, conférences et autres académies d’interprétation, et même si la ville de Châteauroux n’est pas la plus enchanteresse qui soit, poursuivent leur chemin et continuent de nous réserver de belles surprises. Cette année, une lumineuse conférence de Nicolas Dufetel* sur le thème « Liszt, l’athlète (?) » (car nous sommes encore dans l’année olympique !), permettait d’envisager Liszt par le biais de sa constitution physique (ses doigts), de sa santé (comment parcourir inlassablement l’Europe), du rapport entre corps et esprit, entre sensualité et attrait pour le mysticisme, etc. La main de Liszt, intermédiaire entre le cerveau et le clavier, était bel et bien son outil de création.
Fantaisie et souvenir
Suivait un récital donné par Gaspard Dehaene dans l’Auditorium Franz Liszt, qui n’est autre que la chapelle des Rédemptoristes aménagée en salle de concert, pourvue d’une excellente acoustique, et située près de l’envahissant complexe culturel baptisé Équinoxe. Gaspard Dehaene a répondu à la proposition que lui ont faite les Lisztomanias de s’attaquer aux Douze études d’exécution transcendante de Liszt. Il les joue sobrement, sans tapage, avec le désir d’en exprimer aussi l’architecture, car ces douze pages sont moins des études que de vastes poèmes exigeant la virtuosité qu’on imagine, certes, mais un sens du paysage et des humeurs ; les mêmes qualités nécessaires pour aborder, par exemple, les Années de pèlerinage.
Sous les doigts de Gaspard Dehaene, les Douze études gagnent en raffinement et en densité à mesure que se déroule le cycle ; on peut bien sûr être séduit par sa manière d’aborder Mazeppa, mais c’est à partir de Vision que le pianiste s’exprime avec le plus de liberté. L’étude dite Eroica, d’une fantaisie telle qu’on croirait parfois entendre une Rhapsodie hongroise, est un grand moment, tout comme la vaste Ricordanza, la plus développée, la plus lyrique aussi de l’ensemble des Études, celle qui nous entraîne, sous les doigts de Gaspard Dehaene, le plus loin**. Il y a de la sensibilité autant que du muscle chez Liszt.
Illustration : le triomphe de Liszt à Berlin en 1842 (dr)
* À lire : Les Voix de Jérusalem, ouvrage collectif dirigé par Nicolas Dufetel (Van Dieren, 2024) ; Tout le ciel en musique, pensées (de Liszt) choisies et présentées par Nicolas Dufetel (Le Passeur, 2019).
** Gaspard Dehaene jouera Ricordanza (mais aussi Schubert, Chopin, Fauré, Ravel, Scriabine) le 6 décembre au Théâtre d’Agen.
Liszt : Douze études d’exécution transcendante ; Gaspard Dehaene, piano. Châteauroux, Auditorium Franz Liszt, 19 octobre 2024. Les Lisztomanias se poursuivent jusqu’au 23 octobre.