Diktatt d’Enzo Cormann
Haine balkanique
Retour à Cormann : après avoir été l’une des figures majeures de l’écriture des années 90, Enzo Cormann est quelque peu tombé dans le purgatoire. Il est moins joué et lui-même publie aujourd’hui plus de romans que de pièces. Patrick Bonnel ressuscite la pièce Diktatt, écrite au moment de l’explosion des Balkans. Les deux régions opposées ne sont pas nommées réellement mais l’auteur a précisé que le sujet lui était venu après avoir lu une phrase d’un vieillard croate, notée par Jean Hatzfeld : « La nature humaine est incroyable, elle peut habiter dans les ruines comme elle peut être habitée par les ruines. » Deux demi-frères ont fait la guerre dans deux camps ennemis : l’un est « tribe », l’autre « trace ». Après vingt ans de haine, ils se retrouvent, par hasard. Celui qui a eu une carrière plus brillante est tout à coup sous la menace de celui qui vécut une existence plus clandestine. Un pistolet est pointé sans ambiguïté. Mais, isolés dans une campagne perdue, les deux hommes se parlent. Leur dialogue farouche va aller vers plus de compréhension.
Cormann a toujours présenté son théâtre comme « radical ». Il est, en effet, tranchant mais n’élimine pas totalement un langage réaliste. L’œuvre paraît aujourd’hui moins brûlante, moins brutale qu’à la création. Mais, avec son langage où tous les mots portent, avec une tension portée à l’extrême, elle garde son pouvoir d’actualité et sa force de frappe. C’est dans cet esprit que Patrick Bonnel l’a montée et que Stan Tyebo, tout à fait exact dans une interprétation ambigüe, et Syrus Shahidi, compact, ramassé en boule, saisissant, l’interprètent parfaitement. L’entrée en matière et la conclusion gagneraient à être plus nerveuses : points de détail mineurs pour une mise en scène subtilement réglée.
Diktatt d’Enzo Cormann, mise en scène de Patrick Bonnel, avec Stan Tyebo et Syrus Shahidi.
Les Déchargeurs, le lundi, 21 h 30, tél. : 01 42 36 00 50, jusqu’au 5 juillet. (Durée 1 h 30).
Photo Guillaume Caramelle @ Polygone Cinéma.