Jusqu’au 5 juillet à la Cour d’Honneur du Palais des Papes Festival d’Avignon.

Dämon El funeral de Bergman par Angélica Liddell.

Une confrontation avec la vieillesse et la peur de la mort.

Dämon El funeral de Bergman par Angélica Liddell.

Invoquant Bergman, cinéaste suédois dont l’oeuvre a imprégné l’artiste dès sa jeunesse, Angélica Liddell réitère le geste d’écriture du scénario de ses funérailles. Bergman en a imaginé le déroulé après avoir vu celles du pape Jean-Paul II, depuis sa maison de Hammars sur l’île de Fårö. Voilà pourquoi la figure papale blanche rôde sur la scène.

Dans la Cour d’honneur, Angélica Liddell est entourée des comédiennes et comédiens du Dramaten – The Royal Dramatic Theatre de Suède à Stockholm –, dont certains ont frayé avec la fabrique bergmanienne. Et aussi, auprès de l’icône espagnole de la provocation éthique et esthétique, bravache, fanfaronne et fière-à-bras, se tiennent des complices habituels de sa compagnie. La performeuse, figure royale à peine vêtue, mais de blanc comme Blanche-Neige, invite le public à faire face à ses fantasmes, à résister à ses terreurs inavouées et à se confronter au démon ultime, non la Mort mais la Vanité.

Le plateau de la Cour d’Honneur est couvert d’un tapis rouge sang, couleur du démon, que Liddell arpente sans relâche, courant, tournant en rond, ne cessant jamais, prise dans le tournoiement de la vie, du temps passant sans qu’on ne se saisisse de quoi que ce soit. L’interprète est seule un certain temps, avant que ses acolytes ne la rejoignent, criant, hurlant et vociférant dans son micro, qu’elle dépose au sol régulièrement pour aller se changer, précautionneuse et lucide sur l’instant et le temps de la représentation. A son habitude, elle interpelle le public, l’enjoignant à se saisir de ses propos pour « changer ».
De même, les fauteuils roulants vides entament une danse infernale d’apprentis sorciers, folie d’être-là au monde sans avoir saisi les enjeux de l’existence et goûté à la vie qui va.

La façade du château est illuminée de ses fenêtres à croisée derrière lesquelles se dessinent des formes humaines, silhouettes et fantômes qui redescendront sur scène pour la rencontre et le rassemblement d’êtres juvéniles et séniles - la simple condition humaine.

Vouloir tuer en rêve son ennemi ou lui souhaiter du mal et les pires catastrophes. La peur, la fin de l’amour, l’extrême solitude, la dégradation de la vieillesse et la mort, tels sont les démons - la destinée de l’être et les conditions d’une aventure existentielle banale. Quand avons-nous commencé à ne plus aimer l’autre et à nous séparer de lui irrémédiablement ?

Sont évoquées les critiques négatives de certains journalistes français sur le travail de la conceptrice : séance ludique de dérision et d’amusement léger sans réelle conséquence. Bergman de son côté, ne supportait pas lui-même certains critiques.

La performeuse met au jour la « pornographie de l’âme » qu’elle transpose en pornographie du corps : la satire et l’ironie de sa conception de l’art annihilent toute complaisance ambigüe - ni gêne, ni humiliation, mais le constat de l’humaine condition..

Nue sous un déshabillé léger et ouvert qui laisse voir ses parties intimes, l’interprète libre se lave consciencieusement les fesses, dos au public interloqué plus que malmené. D’autres arrière-trains seront affichés, çà et là au cours de la représentation : les uns féminins de jeunes et moins jeunes figures, et les autres de figures masculines, quand les majordomes habillés, servants de scène poussant des fauteuils roulants, baissent soudainement et impromptu leur pantalon quelque temps, avant de se rhabiller.

Le théâtre pour Liddell est un art sacré dont il faut réapprendre les codes - vérité et non pas mensonge, authenticité et non pas faux-semblant, spontanéité et non pas préparation. En laissant advenir les fantômes et l’angoisse, qui les accompagne, pour se comprendre. Comme Bergman, Liddell estime que l’être ne passe qu’un séjour insignifiant dans ce monde. Théâtre et religion, salut de l’âme et salut collectif, pitié et non sentimentalisme.

Cérémonie de messe noire bon enfant et rituel de sorcellerie, la soirée convoque émotions et sensations, penchée sur la condition humaine, et comme une ritournelle, résonne la plainte de la fille d’Indra : « Comme je les plains les gens, comme je les plains. » Compassion pour tous les hommes et toutes les femmes en ces temps d’incertitude, et des bribes du Songe de Bergman sont jouées par de jeunes acteurs suédois : espoir.

Bel éloge de Bergman et éloge de la vie quoiqu’il en coûte, par la grande prêtresse Liddell.

Dämon El Funeral de Bergman, texte, mise en scène, scénographie et costumes Angélica Liddell, lumière Mark Van Denesse, son Antonio Navarro, assistanat à la mise en scène Borja López. Avec David Abad, Ahimsa, Yuri Ananiev, Nicolas Chevallier, Guillaume Costanza, Electra Hallman, Elin Klinga, Angélica Liddell, Borja López, Sindo Puche, Daniel Richard, Joel Valois et la participation d’Erika Hagberg (habilleuse du Dramaten). Les 29 juin, 1, 2, 3, 4, 5 juillet 2024 à 22h à La Cour d’Honneur du Palais des Papes. Festival Avignon In 2024. Du 19 au 21 juillet 2024, Grec Festival de Barcelona (Espagne). Du 13 au 21 septembre 2024, Teatros del Canal (Madrid, Espagne). Du 26 septembre au 6 octobre 2024, Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris). Saison 2025/2026,Théâtre de Liège (Belgique).
Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.

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Véronique Hotte

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