Corbigny, du trio à l’octuor

Il est délicieux d’écouter de la musique de chambre l’été à Corbigny. Mais il arrive aussi que certaines œuvres y connaissent une renaissance. L’Octuor d’Enesco par exemple.

Corbigny, du trio à l'octuor

FONDÉES PAR LA VIOLONCELLISTE ANNE GIRARD, fermement administrées par Jean-Paul Sêtre et Sophie Le Beguec, organisées comme nombre de festivals avec la participation de bénévoles dévoués, les Fêtes musicales de Corbigny célèbrent leur trentième édition sous le chaud soleil du Morvan, après deux années de pénitence dues à l’épidémie qu’on sait. Les concerts ont lieu cette année dans la cour d’honneur et non plus dans la grande cour située derrière l’abbaye. Cette cour d’honneur est un gage de plaisir : de dimensions raisonnables, ornée d’un puits séculaire, elle est pourvue de murs sur trois de ses côtés qui servent de réflecteur au son. D’où une acoustique naturelle, peu réverbérée, d’où également la simplicité du dispositif : une scène et un parasol, tout simplement, qui suffisent à accueillir les musiciens. La chaleur s’évanouit avec le soir, les hirondelles chantent crescendo puis decrescendo, la musique paraît tomber du ciel.

Il s’agit ici de musique de chambre. Après deux rendez-vous, les 7 et 9 août, avec le violoncelliste François Salque et le pianiste Dimitri Naïditch, voici venir le violoniste Nicolas Dautricourt, directeur artistique du festival depuis 2015. Il donne un premier concert, le 10 août, auquel nous avons eu le plaisir d’assister, avant de faire entendre, le 11, une version pour violon et quatuor à cordes du Concerto pour violon de Tchaïkovski.

Le concert du 10 est intitulé « Sérénade à trois », clin d’œil au film d’Ernst Lubitsch (Design for Living, 1933). Trois, c’est-à-dire trois œuvres réunissant chacune trois musiciens. En réalité, cinq instrumentistes participent au concert, mais ils se partagent les partitions inscrites à l’affiche. Juan Fermin Ciriaco, Flore-Anne Brosseau et Samuel Étienne ouvrent le programme avec le Premier Trio à cordes D 471 de Schubert, seul mouvement achevé d’un ouvrage que Schubert, coutumier du fait, abandonna en cours de route (il reste une quarantaine de mesures d’un Andante). Cécile Agator, Flore-Anne Brosseau et Nicolas Dautricourt (les deux violons encadrant l’alto) abordent ensuite le splendide Terzetto de Dvořák, l’alto jouant ici le rôle de la main gauche d’un clavier imaginaire, explique Nicolas Dautricourt, volontiers facétieux mais toujours juste dans ses commentaires. Enfin, après quelques duos pour deux violons de Bartók, joués comme un intermède par Cécile Agator et Nicolas Dautricourt, vient le vaste Trio à cordes n° 5 de Beethoven, œuvre de relative jeunesse datée de 1798 ; à la manœuvre : Nicolas Dautricourt, Flore-Anne Brosseau et Samuel Étienne. Puis tout le monde se réunit pour jouer Oblivion de Piazzolla en bis.

Où il est question de l’Octuor d’Enesco

Les Fêtes musicales de Corbigny sont aussi un lieu d’expérimentation. C’est en y jouant l’Octuor pour instruments à cordes d’Enesco, en 2016, que Nicolas Dautricourt a souhaité aller plus loin et bâtir ce qu’il appelle un « projet Enesco ». Sous cet intitulé se cache un programme de concert réunissant, à partir de l’Octuor cité, un ensemble de pièces pour un ou plusieurs instruments à cordes composées par les professeurs du compositeur franco-roumain (Fauré, Massenet), par Ravel ou encore par Ysaÿe, qui a dédié à Enesco sa Troisième Sonate pour violon seul dite « Ballade  ». Sans oublier une page du jeune compositeur roumain George Ioan Păiș issue d’un concours de composition organisé pour l’occasion. Ce programme a été joué à plusieurs reprises, notamment bien sûr dans le cadre du Festival Enescu de Bucarest (en 2021), et sera repris à la Philhamonie de Paris le 30 janvier 2023. Il a aussi fait l’objet d’un enregistrement qui paraîtra en septembre prochain*.

George Enescu en roumain, Georges Enesco en français : il semblerait que ce compositeur encore méconnu, né en Roumanie en 1881, venu étudier en France en 1895, mort en 1955 à Paris et enterré au Père-Lachaise, connaisse une nouvelle actualité (son opéra Œdipe, créé en 1936 au Palais Garnier, fut repris à l’Opéra Bastille l’automne dernier). Ce projet en est le signe. Il reste à souhaiter aux Fêtes musicales de Corbigny de continuer à nous surprendre.

Illustration : l’abbaye Saint-Léonard de Corbigny (photo David Beaudequin)

* « The Enescu Project », 1 CD Orchid Classics ORC 100 202.

Prochains concerts des Fêtes musicales de Corbigny 2022 : un programme Saint-Saëns par L’Armée des romantiques (attention, ce concert aura lieu en l’église de Cervon), le 12 août ; l’Alexis Cardenas Quartet, le 14 août (www.fetesmusicalesdecorbigny.eu).

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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