La Septième Symphonie de Mahler au Suntory Hall de Tokyo

Chant de la nuit au pays du Soleil levant

Andrea Battistoni dirige une Septième de Mahler très charpentée à la tête de l’Orchestre philharmonique de Tokyo.

Chant de la nuit au pays du Soleil levant

LA SEPTIÈME N’EST PAS LA PLUS FLATTEUSE des symphonies de Mahler. Elle ne comporte pas de mouvement élégiaque, ni d’Allegro théâtral. Conçue en cinq mouvements, elle est encadrée par un ténébreux Adagio-Allegro risoluto (noté cependant ma non troppo) et par un rondo-finale euphorique, qui a peu à voir avec les mouvements précédents, tous d’une couleur sombre ou baignés de clair-obscur. Les trois pages centrales se composent en effet d’un inquiétant scherzo lui-même enchâssé entre deux Nachtmusik (« Musique de nuit ») dont l’humeur méditative ou aimable peut rappeler, mutadis mutandis, les intermezzos en demi-teinte de Brahms, et ont valu à la symphonie le sous-titre « Chant de la nuit ».

Il y a quelque chose de captivant toutefois dans cette vaste partition qui ne se laisse pas facilement dompter, et dont l’instrumentation est l’une des plus fouillées que Mahler ait conçues. Mettre en valeur les ombres furtives ou les grouillements maléfiques des mouvements centraux, tout en dessinant une vaste architecture qui donne son unité à la symphonie tout entière, voilà un défi que peu de chefs sont capables de relever parfaitement. À la tête de l’Orchestre philharmonique de Tokyo (très belle formation fondée en 1911, dont il est le chef principal), Andrea Battistoni se montre à la hauteur du propos. Avec le temps, sa gestique est devenue plus sobre, sans perdre en efficacité, ni en précision. Dès la première phrase confiée au tenorhorn (instrument à mi-chemin du cor et du tuba), l’atmosphère de la symphonie est là, sombre, accablée, prête à donner la vie à tous les spectres. Le mouvement se déploie avec une ampleur et une concentration qui met d’autant mieux en valeur le lumineux épisode central, immobile et comme émerveillé.

De l’énergie et de la fantaisie

L’acoustique du Suntory Hall (situé sur la Herbert von Karajan Platz, curieusement indiquée en lettres gothiques sur une plaque émaillée, serions-nous donc à Vienne ?) aide beaucoup à la clarté du propos. Conçue comme la Philharmonie de Paris (en vignoble, avec quelques rangées de places sous l’orgue, derrière l’orchestre), la salle, d’une acoustique plus claire que brillante, permet d’entendre distinctement chacun des pupitres sans que l’homogénéité de l’ensemble en pâtisse. Le beau duo entre le cor solo et la clarinette à la fin du deuxième mouvement, la présence du cor anglais, même quand il n’est pas à découvert (dans la seconde Nachtmusik), l’éclat des percussions dans le finale, voilà autant d’éléments qui rendent la musique flamboyante. Certes, la guitare est un peu lointaine dans le quatrième mouvement (alors que la mandoline sonne avec une belle présence), mais les flûtes font preuve de fantaisie, et il faut voir avec quelle entrain la percussionniste agite ses cloches de troupeau dans le finale !

Outre les recommandations habituelles (éteindre les téléphones portables, ne pas prendre de photographies), le programme de salle recommande de ne pas applaudir tout de suite, de jouir de l’« afterglow » (la lueur qui suit, en l’occurrence l’écho produit par la musique quand elle se tait) – peine perdue : dès le dernier accord, la salle éclate en applaudissements bruyants, sans laisser la musique respirer, on sort les portables, les spectateurs les plus pressés s’empressent de quitter la salle. Mais une poignée d’intrépides restent, continuent d’applaudir, et alors que les musiciens ont déserté la scène, rappellent obstinément le chef d’orchestre – qui revient saluer, accompagné du violon solo. Manifestement, Andrea Battistoni a trouvé son public. Il sera de nouveau à la tête de l’Orchestre philharmonique de Tokyo en mars (Stravinsky-Weber-Hindemith) et septembre 2025 (Pizzetti-R. Strauss).

Cinq autres chefs seront également à la tête de l’Orchestre philharmonique de Tokyo en 2025 : Myung-whun Chung (en février), Tadaaki Otaka (en avril, avec le pianiste Izumi Tateno), Mikhail Pletnev (en mai, avec la pianiste Kanon Matsuda), Pinchas Zukerman (en juin), Min Chung (en juillet, avec la violoniste Mayuko Kamio) et de nouveau Myung-whun Chung (en octobre, avec le pianiste Makoto Ozone), sachant que chacun des programmes de l’orchestre est donné trois fois : au Bunkamura Orchard Hall, au Suntory Hall et au Tokyo Opera City Concert Hall.

Illustration : Andrea Battistoni (Foto Gorzegno/dr)

Mahler : Symphonie n° 7 « Chant de la nuit ». Orchestre philharmonique de Tokyo, dir. Andrea Battistoni. Tokyo, Suntory Hall, 19 novembre 2024.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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