Carte blanche à Sobel : le programme Hanqing
Estampes chinoises
Il y eut un temps où le metteur en scène Bernard Sobel ne s’exprimait que dans de grands théâtres, à commencer par celui qu’il dirigeait à Gennevilliers. Les temps ont changé, le voilà dans un mouchoir de poche (100 places), accueilli par les directeurs des Déchargeurs, Lee Fou Messica et Ludovic Michel. Mais avec un double programme, alignant quatre pièces, deux du Chinois Hanqing et deux de l’Américain Foreman, et faisant intervenir pas moins de huit acteurs. Nous n’avons vu que le premier cycle, tourné vers l’autrefois. Car, si Foreman est un auteur bien vivant, Hanqing vécut au XIIIe siècle, au temps de la dynastie mongole des Yuan ! Le théâtre de Hanqing se compose de petites fables morales, d’une grande pertinence sociale, dénonçant les abus des puissants et des petits mandarins. Dans Sauvée par une coquette, une courtisane – on appelle ces femmes tarifées des « filles-fleurs » - est amoureuse d’un lettré mais épouse un bourgeois, qui ne va pas tarder à la battre quotidiennement. Comment survivre et s’échapper ? Dans Le Rêve du papillon, un paysan est tué par un seigneur pour qui la vie humaine ne compte pas. Ses enfants tuent le seigneur sans le vouloir, au cours d’une altercation. La justice entreprend de les punir, condamne l’un des trois garçons à la prison mais découvre in extremis les mérites d’un petit peuple qu’elle avait tendance à mépriser.
Sobel avait déjà monté ces pièces autrefois. Il en aime l’aspect politique et critique, presque pré-brechtien. Il en aime aussi le langage naïf, populaire, et se souvient des estampes orientales dans sa mise en place de l’action au cœur d’un décor totalement blanc. Il s’amuse aussi à retrouver un théâtre rituel, où les maquillages et les coiffes (remarquables ; ils sont dûs à Mina Ly) définissent le sexe, le rang social et l’émotion. Les jeunes acteurs jouent selon ces codes, sans agitation, sans éclats dans la voix. Sobel s’est juste permis un écart avec la Chine d’antan, en plaçant un nez de clown sur le visage d’un serviteur : joli clin d’oeil qui relie l’art ancestral à l’art plus contemporain du cirque. Un bruiteur fait claquer des lattes de bois là où d’autres cultures utiliseraient un gong. L’on est touché et fasciné comme devaient l’être les spectateurs du XIIe siècle, bien que nous ajoutions à notre plaisir un inévitable sentiment de distanciation. Hanqing visait à l’édification du public, nous en rions un peu aujourd’hui, sous cape, car le charme est grand.
Carte blanche à Bernard Sobel : Programme Hanqing, texte français d’Evelyne Pieiller, mise en scène de Bernard Sobel en collaboration avec Michèle Raoul-Davis, décor de Jean-Baptiste Gillet, lumières de Jean-François Besnard, costumes et maquillage de Mina Ly, son de Bernard Valléry, avec Jérôme Cochet, Daniel Léocadie, Clémence Longy, Frédéric Losseroy, Manon Payeville, Zelda Perez, Noémie Rimbert et Théophile Sclavis.
Les Déchargeurs, 19 h, tél. : 01 42 36 00 50, jusqu’au 27 septembre. (Durée : 2 h, avec entracte). Le programme consacré à l’écrivain Richard Foreman est à 21 h. (Notons enfin que le théâtre a changé ses fauteuils et que le confort s’est beaucoup amélioré ! )
Photo iFou