Britten, la mort, la guerre

À la fois lamento pour les morts de la guerre et célébration aspirant à la fin de toutes les guerres, le War Requiem de Britten remplit de son désir de beauté la Philharmonie de Paris.

Britten, la mort, la guerre

LE WAR REQUIEM DE BRITTEN fut créé très officiellement le 30 mai 1962 à l’occasion de la consécration de la nouvelle cathédrale de Coventry, qui fut construite à côté de l’ancienne cathédrale Saint-Michel, bombardée en 1940, mais dont il fut choisi de conserver les ruines. L’œuvre sonne de bout en bout avec une sensibilité douloureuse car elle correspond aux convictions profondes de Britten. Pacifiste sincère, le compositeur anglais prit la décision en effet de partir dès le début de la guerre pour les États-Unis, et c’est d’ailleurs là-bas, en 1941 à New York, que fut créé son premier ouvrage lyrique, Paul Bunyan, quatre ans Peter Grimes. Tout comme Peter Grimes d’ailleurs, le War Requiem (« Requiem de guerre », c’est-à-dire aussi bien déploration en hommage aux victimes de la guerre que rituel accompagnant la fin qu’on aimerait définitive de la guerre) met en scène l’innocence impossible à prouver mais qui s’impose aveuglément à nous ; à cette différence qu’il s’agit ici de l’innocence des soldats qui vont trouver la mort au front. On imagine mal Britten écrivant un Te Deum à l’occasion d’une victoire militaire ! D’où son choix de faire alterner, dans la partition, les grands moments du rituel de la messe des morts avec la mise en musique de poèmes de Wilfried Owen (1893-1918), abattu au front entre Sambre et Oise une semaine avant l’armistice du 11 novembre.

Pour exalter le traitement des poèmes d’Owen, Britten a conçu sa partition pour trois voix solistes : la voix de soprano, mêlée au chœur et au grand orchestre, dit le texte de la messe, cependant que le ténor et le baryton, à tour de rôle ou ensemble, chantent les poèmes, accompagnés d’un petit orchestre qui vit sa vie propre. On est loin ici de la distribution du concerto grosso ou de celle de la Deuxième Symphonie de Dutilleux (1959) : le petit orchestre n’a pas pour vocation de dialoguer avec le grand mais de dire le désarroi, la détresse, le désespoir d’Owen (il ne joue en tutti, avec l’ensemble des forces musicales, qu’une seule fois dans le War Requiem). Un chœur d’enfants intervient également qui, comme souvent chez Britten, chante l’innocence bafouée ou l’innocence vers lequel pourrait tendre l’humanité si elle prenait conscience des horreurs qu’elle porte en elle.

Enfants des lointains

À la Philharmonie de Paris, le grand orchestre occupe le plateau, le petit orchestre installé à la droite du chef, donc très près du public, ce qui permet de goûter notamment les timbres de la flûte et du basson, ici très expressif, qui font partie de cette formation. Le chœur, lui, est à la place habituelle, derrière l’orchestre, le chœur d’enfants, invisible, semblant nous parvenir des lointains. Au pupitre, Daniel Harding dirige avec une précision découpante cette musique qui brûle d’un feu glacé ; il s’attarde sur les lignes et les plans davantage que sur le lyrisme et cherche plus la tension que le tumulte.

Le plateau est choisi avec soin. Emma Bell (qui remplaçait Albina Shagimuratova, souffrante), au premier rang du chœur, tout en haut, met ses aigus avec sobriété au service du texte latin de la messe des morts. Mais c’est le duo des hommes qui nous ravit : Andrew Staples a cette souplesse, cette couleur typique de la voix de ténor qu’affectionnait Britten et qu’avait Peter Pears, qui participa à la création de l’œuvre en 1962. Il forme un duo idéal avec Christian Gerhaher, baryton à la voix souple et légère elle aussi, assez peu assise dans le grave, qui lui permet de chanter les poèmes d’Owen avec la même acuité, la même lumière surnaturelle. Le Chœur de l’Orchestre de Paris aborde avec un grand respect des nuances cette partition on ne peut plus contrastée qu’est le War Requiem, avec par exemple ce stupéfiant effet de volètement vocal qui précède le grand crescendo conduisant à l’« Hosannah ». Le Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris apporte son mystère et, marié aux sonorités douces de l’orgue, nous rappelle que le War Requiem est autant un réquisitoire contre la guerre que l’expression d’un incoercible désir d’envol.

Illustration : la cathédrale de Coventry dévastée (dr)

Britten : War Requiem. Emma Bell, soprano ; Andrew Staples, ténor ; Christian Gerhaher, baryton ; Chœur d’enfants et Chœur de l’Orchestre de Paris ; Orchestre de Paris, dir. Daniel Harding. Philharmonie de Paris, 15 mai (ce concert est redonné le 16 mai).

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook