Du 21 janvier au 15 février 2025 au Théâtre du Rond-Point
Article 353 du Code Pénal de Tanguy Viel par Emmanuel Noblet.
L’engrenage socialement infernal d’un homme manipulé par un autre.

Pour avoir jeté à la mer le promoteur immobilier Antoine Lazenec, Martial Kermeur vient d’être arrêté par la police. Au juge devant lequel il a été déféré, il retrace le cours des événements qui l’ont mené là : divorce, garde de son fils Erwan, licenciement et surtout, les miroitants projets de Lazenec. Il est vrai que tentation est grande d’investir toute sa prime de licenciement dans un bel appartement avec vue sur la mer. Encore faut-il qu’il soit construit.
(Quatrième de couverture, Article 353 du Code pénal de Tanguy Viel, Minuit)
C’est un huis-clos, une avancée patiente dans les méandres intérieurs d’une réflexion, l’exploration sensible d’une histoire dont le lecteur et spectateur du roman de Tanguy Viel, créé sur la scène par Emmanuel Noblet, ressent la proximité, l’empathie, quant aux promesses non tenues, politiques et intimes.
Manipulation et malversations d’un triste sire et fieffé malhonnête sur un autre, le premier ayant les codes et l’aisance de la suffisance sociale bourgeoise, quand le second reste fidèle à ses valeurs morales - humilité, respect de l’autre et vérité. Fier d’être engagé à gauche, maladroit en société, il est impressionné face à celui qui a manifestement réussi ; mais il est sans le savoir fort d’une conscience, d’une dignité et liberté intérieures inaliénables.
« Martial Kermeur raconte ses années, ses échecs et leurs conséquences, même s’il n’a pas les mots pour le dire, du moins, le croit-il. En fait, sa connaissance des autres, comme de lui-même, est aussi affûtée que son regard sur la mer. Dans sa compréhension des choses, il est le rocher face au vent, il a une perception tellurique, secrète et sourde, il les ressent », précise Emmanuel Noblet, le créateur et l’acteur - il est l’interprète du juge.
Qu’à cela ne tienne, ll reste à remédier aux injustices, dans le rappel d’une création précédente, d’après Réparer les vivants de Maylis de Kerangal. Il reste encore à pallier aux manquements, à prendre ses responsabilités - qu’on soit juge ou assassin -, en ne respectant paradoxalement plus la loi, en l’interprétant favorablement. D’où la mise en majesté de l’intime conviction, un principe du droit logé à l’article 353 du Code de procédure pénal.
Pour décor, les fondations jamais honorées d’un bâtiment fantôme à l’intérieur desquelles évolue le narrateur, accompagné de son juge auditeur. Depuis l’immense écran du lointain, on croit sentir la brume marine et salée de la rade de Brest, dans la contemplation de la côte lointaine, de la lumière du ciel immense et des flots vifs de la grande Bleue, mystérieuse toujours.
Vincent Garanger incarne le personnage du looser ou perdant Kermeur jusqu’au bout des doigts, à la fois incertain et décidé, de plus en plus lucide en réalité sur l’enchaînement des événements, fin connaisseur des rouages existentiels - sociaux, économiques et politiques - qui peuvent enserrer un être et l’entraver, assistant lui-même à sa propre chute inévitable.
Or, le personnage a donné symboliquement l’ultime coup de pied tonique sur le sable des profondeurs marines pour remonter à l’air, à la récupération de soi, à la survie, au sauvetage intime, qui plaide aussi en faveur du fils désorienté. L’acteur bonhomme se frotte des mains le visage pour effacer l’impensable, tentant de radier l’aveuglement passé pour le remplacer par la clairvoyance.
Un beau moment d’humanité et de sensibilité à l’autre - ses chagrins et peines, les nôtres -, et à cette condition humaine à laquelle nul n’échappe.
Article 353 du Code pénal, roman de Tanguy Viel, adaptation et mise en scène Emmanuel Noblet, avec Vincent Garanger et Emmanuel Noblet, scénographie Alain Lagarde, création lumière Vyara Stefanova, création sonore Sébastien Trouvé, vidéo Pierre Martin Oriol, costumes Noé Quilichin. Du 21 janvier au 15 février 2025, du mardi au vendredi 19h30, samedi 18h30, dimanche, 15h30, relâche lundi et dimanche 26 janvier au Théâtre du Rond-Point, 2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris. Tél : 01 44 95 98 21, theatredurondpoint.fr Les 20 et 21 février 2025 Théâtre de l’Union / Limoges (87). Du 25 février au 1er mars 2025, Théâtre de l’Étincelle / Rouen (76). Le 21 mars 2025, Les scènes du Golfe / Vannes (56). Du 27 mars au17 avril 2025, Comédie itinérante - La Comédie de Valence (26). Le 29 avril 2025, L’Estive / Foix (09). Le 23 mai 2025, Théâtre de la Madeleine / Troyes (10).
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.