Après la pluie de Sergi Belbel

Fumeurs au bord de la crise de nerfs

Après la pluie de Sergi Belbel

A Barcelone comme à Paris, il est interdit de fumer sur son lieu de travail. Aussi les employés de l’entreprise où le grand auteur catalan Sergi Belbel a situé sa pièce montent-ils au 49e étage de l’immeuble, ou plutôt sur le toit. Là, on parle de tout et de rien, et l’on tire sans honte sur sa cigarette. Même sur la terrasse la plus élevée, l’on est dans un monde hiérarchisé, où les hommes (le coursier mis à part) sont en haut de la pyramide et où les femmes, sauf la « directrice exécutive » qui a adopté les moeurs de l’autorité virile, jouent les seconds rôles dépendants, futiles et érotisés. Des complots se trament, des rencontres sexuelles se mijotent, des désespoirs virent au cauchemar. Tragédies et vaudevilles peuvent se produire à tout moment. Et cette pluie qui ne tombe pas et dont l’absence exaspère les corps et les nerfs ! Il n’y a pas d’histoire au sens classique, mais une série de petits destins qui se croisent au cœur d’une ville moderne, dangereuse et indifférente.
Belle pièce, qui fut en avance sur son époque et met en comédie le « burn out » dont on ne parlait pas naguère : en France, Marion Bierry la fit connaître en 1999, au théâtre de Poche ; elle fut jouée dans de nombreux pays. Lilo Baur ne l’aborde pas tout à fait avec la drôlerie qui lui est coutumière. Elle est manifestement gênée par le décor d’Andrew D Edwards, d’inspiration cubiste, qui cherche à la fois à représenter le toit de l’action en coupe, tel qu’on peut le voir si l’on se place dans un immeuble voisin, et à donner l’impression de vertige comme lorsqu’on domine en avion une forêt de gratte-ciel. Cette scénographie est ingénieuse mais introduit une surcharge et une impression de confusion. Malgré cette difficulté, il n’y a qu’à jouer au mieux et à régler la succession des explosifs, ce qui est assuré par la mise en scène et les bons comédiens réunis : Anna Cervinka, la plus amusante, en secrétaire blonde inintelligente, Clotilde de Bayser, d’une belle drôlerie songeuse, Véronique Vella, qui fait sourdre mystérieusement une étrange angoisse, Sébastien Poudéroux, au personnage cassé de l’intérieur, Alexandre Pavloff, dans les lignes brisées de l’autorité mal assurée, Rebecca Marder et Nâzim Boudjenah (le moins bien dirigé, jouant un coursier tel un sportif au cerveau vide). Ce pourrait être plus saignant et profond, mais la Comédie-Française a bien fait de rendre vie, d’une manière plaisante, à cette grande comédie contemporaine.

Après la pluie de Sergi Belbel, traduction du catalan par Jean-Jacques Préau, mise en scène de Lilo Baur, scénographie d’Andrew D Edwards, costumes d’Agnès Falque, lumières de Fabrice Kebour, musique originale de Mich Ochowiak, maquillages et coiffures de Catherine Bloquère, assistanat à la mise en scène d’Aoife Hinds, avec Véronique Vella, Cécile Brune, Alexandre Pavloff, Clotilde de Bayser, Nâzim Boudjenah, Sébastien Pouderoux, Anna Cervinka, Rebecca Marder. Le texte est publié aux éditions Théâtrales (1997).

Vieux-Colombier, tél. : 01 44 58 15 15, jusqu’au 7 janvier. (Durée : 1 h 50).

Photo Brigitte Enguerand.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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