Critique – Opéra/Classique

AU MONDE de Philippe Boesmans

Au plus près des mots

AU MONDE de Philippe Boesmans

Revoir à quelques jours d’intervalle Pelléas et Mélisande de Debussy repris à l’Opéra National de Paris et Au Monde de Philippe Boesmans présenté à l’Opéra Comique après sa création en avril 2014 à la Monnaie de Bruxelles, génère un étrange sentiment de familiarité, comme si le second se situait dans la lignée directe du premier. (voir WT des 28 mars & 8 avril 2014 et 16 & 19 février 2015) Ce qui est partiellement exact, Philippe Boesmans, né en 1936 étant le premier à reconnaître – en admirateur - cette filiation qui, entre autres, laisse au texte la même importance que la musique.

Les deux mises en scène, l’une signée Robert Wilson, l’autre Joël Pommerat, également auteur de la pièce de théâtre dont l’opéra et tiré, jouent pareillement sur les géométries des lumières, le minimalisme des décors et des accessoires. Quand le rideau s’ouvre sur l’espace vide de Au Monde et que résonne la première réplique du père articulée en « sprechgesang »(chant parlé), impossible de ne pas entendre en mémoire les quatre premiers mots lancés par Mélisande « Ne me touchez pas ! ».

Si Debussy s’impose dès la première scène, il s’estompe pourtant peu à peu laissant s’épanouir l’inspiration propre de Boesmans, dans la mosaïque de références musicales dont il malaxe les héritages. Strauss, Ravel, Massenet, Poulenc et d’autres tracent d’invisibles fils sans jamais formuler de véritables citation… Violence, rage et mystère tantôt explosent, tantôt s’alanguissent en brumes mélancoliques en écho au climat de Pommerat, à ses personnages engloutis dans leur ego et leur solitude. Une tragédie qui ne dit pas nom, par petites touches de la vie au quotidien à la façon de Tchekhov, en plus sec, plus radical. On pense inévitablement aux Trois Sœurs puisqu’ici elles sont également trois aussi, liées mais infiniment plus isolées. Et si différentes ! La plus expansive, présentatrice de jeux télévisés, l’adoptée, taiseuse, censée remplacer une disparue, la future mère au ventre rond dont le mari s’offre une fille de compagnie. Deux frères, l’un brave type casanier, l’autre bizarre enfant prodigue à la personnalité occulte – peut-être un tueur en série -. Toutes et tous gravitent autour d’un père patriarche riche industriel qui perd la mémoire.

On retrouve avec plaisir Patrick Davin chef d’orchestre, coutumier des sonorités de Boesmans dont il transmet en force subtile les couleurs à l’Orchestre philharmonique de Radio France. Même plaisir pour les chanteurs de la première distribution presque tous présents au rendez-vous parisien. Patricia Petibon toujours pétillante dans son jeu et dans ses aigus, Charlotte Hellekant à l’élégance distante, Fflur Wyn en ado adoptée, perturbée, Yann Beuron cynique et faux cul, Werner van Mechelen sobre avec quelques pointes d’humour et la basse Frode Olsen, entre autorité et absence dans le rôle du père. La comédienne Ruth Olaizola au déhanchés provocants reste l’étrangère qui hurle son mépris en langue basque. Seul changement : Stéphane Degout, l’actuel Pelléas de l’Opéra de Paris, est remplacé par un jeune baryton canadien, Philippe Sly qui, par sa fraîcheur, son phrasé impeccable et une sorte de fragilité donne un tout autre relief au personnage d’Ori, le frère étrange, mi infirme, mi scabreux. Superbe, pitoyable et inquiétant

Un album de deux CD vient de sortir chez Cypres avec l’orchestre la distribution originale de La Monnaie .

Au Monde de Philippe Boesmans, livret et mise en scène de Joël Pommerat d’après sa pièce éponyme, orchestre philharmonique de Radio France direction Patrick Davin, décors et lumières Éric Soyer, costumes Isabelle Deffin. Avec Patricia Petibon, Frode Olsen, Charlotte Hellekant, Werner van Mechelen, Fflur Wyn, Yann Beuron, Philippe Sly, Ruth Olaizola.

Opéra Comique du 22 au 27 février 2015

08 25 01 01 23 – www.opera-comique.com

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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