Critique - Opéra/Classique

Castor et Pollux de Jean-Philippe Rameau.

Un champagne si français privé de ses bulles

Castor et Pollux de Jean-Philippe Rameau.

L’année Rameau se poursuit au Théâtre des Champs Elysées avec une nouvelle réalisation de sa tragédie lyrique Castor et Pollux, petit chef d’œuvre de subtilité musicale et morale que l’auteur des Boréades, de Platée, d’Hippolyte et Aricie remania à vingt ans d’intervalle. C’est la deuxième mouture de 1754, resserrée, amputée de son prologue, qui est la plus souvent jouée, comme ici en version scénique, comme elle le fut en version de concert à l’Opéra Comique en mars dernier dans la cadre de son Festival Rameau (voir WT 4064 du 24 mars 2014).

Hervé Niquet et son Concert Spirituel ont été chargés de la part musicale, Christian Schiaretti, homme de théâtre, successeur de Roger Planchon à la direction du TNP de Villeurbanne, a été attelé à la mise en scène. On attendait beaucoup de leur rencontre. On sort déçu du résultat.

Comment aborder le destin de ces deux frères, fidèles l’un à l’autre jusqu’au sacrifice ? Ils aiment la même femme, Thélaïre qui est promise à Pollux. Mais Thélaïre aime Castor, et Pollux renonce à son amour. Au cours d’un combat, Castor se fait tuer et est jeté en enfer. L’immortel Pollux renonce alors à son statut divin pour que Castor puisse renaitre, vivre et aimer. Jupiter touché par sa grandeur d’âme les immortalise tous deux et leur dédie une constellation.

Schiaretti tente de rendre intemporelle leur histoire. Ici et maintenant. Au cœur même de ce Théâtre des Champs Elysées art déco dont il prolonge le décor sur la scène jusqu’a y reproduire le lustre qui au fil de l’intrigue prend des fonctions différentes, ascenseur des dieux ou zodiaque tourbillonnant greffé de ses signes, s’arrêtant évidemment sur celui des gémeaux : la seule image poétique du sage décor de Rudy Sabounghi. L’ensemble est statique, monotone malgré le jeu d’un rideau noir qui descend sur scène et se retrousse, et ce mur d’or martelé qui pousse les protagonistes à l’avant-scène. Une manœuvre qui prive les spectateurs de l’écran des surtitres placé à l’arrière, et, comme la diction des interprètes s’avère plutôt aléatoire, le texte du livret ciselé par Pierre Joseph Bernard dit Gentil-Bernard devient dès lors incompréhensible.

Manque de diction

Le manque de diction dans le chant est hélas fréquent sur nos scènes. Ainsi Michèle Losier en Phoebé, soprano au timbre acide, lance ses notes comme des flèches et savonne les mots. En Télaïre la franco-nigériane Omo Bello appelée à la rescousse à la suite de la défection de la soprano initialement prévue, réserve la surprise d’une jolie présence et d’un timbre lumineux. Castor, généralement dédié à un haute-contre, est mollement défendu par le ténor canadien John Tessier tandis que le Pollux d’Edwin-Crossley-Mercer, baryton franco-irlandais, use avec dextérité de ses graves et d’une projection efficace. Jupiter par Jean Teitgen, Mercure par Reinoud Van Mechelen assurent sans faux pas. L’absence de direction d’acteurs – étonnante de la part d’un homme pourtant rôdé à ce type d’exercice – transforme les personnages de la tragédie en pantins amorphes. On rêve de ce qu’un Benjamin Lazar, magicien de ce type de répertoire, aurait pu en tirer.

La frustration est encore aggravée par les ballets chorégraphiés par Andonis Foniadakis. Très nombreux, ils s’insèrent entre les airs, les récitatifs et les ensembles pour constituer une part quasi majeure des passages instrumentaux. Reptations au sol, contorsions, corps en torsades, sauts acrobatiques : la première intervention des danseurs surprend. Puis à force de se répéter inlassablement, en noir, en blanc, en gris ou dans les flammes de l’enfer, elle devient pénible. Les huées du public à la fin de la première du spectacle, témoignaient de l’agacement.

Jusqu’à l’ennui

La consolation aurait pu venir d’Hervé Niquet, fin renard des musiques des 17ème et 18ème siècle. Le programme nous apprend qu’il voit dans Castor et Pollux les signes avant-coureurs d’une comédie musicale. Vraiment ? On attend en vain les pépites, les petits grains de folie, les bulles de ce champagne si français qui fait danser les oreilles. Le Concert Spirituel et son chœur font proprement leur travail, tout est correct sans prise de risque. Jusqu’à l’ennui.

Castor et Pollux de Jean-Philippe Rameau, livret de Pierre-Joseph Bernard dit Bernard-Gentil. Orchestre et chœur Le Concert Spirituel, direction Hervé Niquet, mise en scène Christian Schiaretti, chorégraphie Andonis Foniadakis, décors Rudy Sabounghi, costumes Thibaut Welchlin, lumières Laurent Castaingt. Avec John Tessier, Edwin Crossley-Mercer, Omo Bello, Michèle Losier, Jean Teitgen, Reinoud van Mechelen, Hasnaa Bennani, Marc Labonnette .

Théâtre des Champs Elysées, les 13, 15, 17, 21 octobre à 19h30, le 19 à 17h

01 49 52 50 50 – www.theatrechampselysees.fr

Photos :Vincent Pontet WikiSpectacle

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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