Festival d’Avignon

The Four Seasons Restaurant de Roméo Castellucci

Saisissant voyage au bord du cosmos

The Four Seasons Restaurant de Roméo Castellucci

L’an passé Roméo Castellucci avait fait débat et ouvert une violente polémique avec un spectacle sommairement jugé blasphématoire par les intégristes catholiques, Sur le concept du fils de Dieu. Précédé par Le Voile noir du pasteur, d’après la nouvelle de l’écrivain américain Nathaniel Hawthorne, il entrait dans la composition d’un triptyque consacré à l’évocation “de la face cachée de l’image”, qui se clôture avec cette nouvelle création. Comme toutes les réalisations de l’artiste italien depuis le début des années 1980 avec sa compagnie la Societas Raffaello Sanzio, son dernier opus fait la part belle à une expression théâtrale associant au jeu, images, sons et musiques, à même de provoquer une relation sensorielle avec le spectateur, sous des aspects parfois ésotériques, mais avec une fascinante force plastique. Un résultat encore obtenu aujourd’hui avec une maîtrise et un brio impressionnant.

A partir du phénomène astrophysique du “trou noir ” récemment découvert par la Nasa - cette partie du cosmos dont rien ne peut s’échapper ni lumière, ni matière - Castellucci l’illustre par un univers sonore terrifiant et assourdissant (des protections auditives sont délivrées aux oreilles sensibles), puis engage une relation avec l’œuvre inachevée de Friedrich Hölderin, La Mort d’Empédocle. Dans une salle de gymnase, dix comédiennes italiennes, vêtues de robes paysannes, interprètent des extraits de ce texte sibyllin qui évoque le philosophe grec (490 – 495 av. J.C.) à travers sa pensée radicale d’une vision du monde. Après s’être coupé la langue, abandonnée à deux chiens noirs, elles enchainent de courtes scènes alternant les personnages dans une forme intemporelle de chœur antique. Au-delà de l’expression parlée – travaillée à plusieurs niveaux – toutes sont réunies pour développer le propos à travers une relation corporelle signifiante d’une étrange beauté. Comme cette dernière scène, où fusionnées dans un simulacre d’accouchements, elles émergent tour à tour nues pour rejoindre Empédocle dans la mort … ou partir vers une renaissance.

Puis, tout bascule vers la partie la plus impressionnante du spectacle. Mouvement de rideau balayant la profondeur du plateau en laissant apparaître quelques pierres noires et le cadavre d’un cheval mort. S’installe alors une boîte transparente dans laquelle durant plusieurs minutes des souffleries font jaillir une fange volatile toujours en mouvement. Une vision fascinante qui tient du rappel du trou noir ou des jaillissements de lave de l’Etna dans lequel, suivant la légende, Empédocle se serait suicidé. Mais cela relève également du reflet d’un monde chaotique et menaçant, malgré l’apparition finale d’un visage de femme apaisée qui semble introduire une lueur d’espoir. Dans sa globalité, une création qui appelle à faire abstraction de ses références pour ressentir, en se laissant porter, les propositions fortes offertes à l’imaginaire. Reste ce titre énigmatique pour beaucoup. Castellucci l’utilise en référence au peintre américain Mark Rothko (1903-1970), qui renonça à livrer des toiles commandées en fonction du lieu d’exposition qui leur était attribué : un restaurant new-yorkais de la 54ème rue, le “Four Seasons”. Un acte auquel est particulièrement sensible le créateur italien, puisque très attaché à la liberté de l’artiste dont il donne cette fois encore une preuve tangible.

© Christophe Raynaud de Lage

The Four Seasons Restaurant,
conception, mise en scène, décor et costumes, Roméo Castellucci, musique Scott Gibbons, avec Chiara Causa, Silvia Costa, Laura Dondoli, Irène Petris et Moana Ball-Depinoy, Marie Dissais, Marine Granat, Sophie Lebrun, Carlotta Moraru, Myriam Sokoloff. Durée 1 h 20. En tournée de septembre 2012 à avril 2013 à Belgrade, Berlin, Maillon – Strasbourg, Scène nationale de Poitiers, Comédie de Reims, Théâtre de la ville – Paris, CDN de Valence.

A propos de l'auteur
Jean Chollet
Jean Chollet

Jean Chollet, diplômé en études théâtrales, journaliste et critique dramatique, il a collaboré à de nombreuses publications françaises et étrangères. Directeur de publication de la revue Actualité de la Scénographie de 1983 à 2005, il est l’auteur de...

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