Saint-Denis, TGP jusqu’au 6 février 2011

Têtes rondes et têtes pointues

Une farce noire

Têtes rondes et têtes pointues

Pour sa première mise en scène, Christophe Rauck avait choisi Le Cercle de craie Caucasien, puis en 2004, alors qu’il dirigeait le mythique théâtre du peuple à Bussang, il a monté La Vie de Galilée et le voilà de nouveau en compagnie de Brecht au TGP qu’il dirige depuis 2008 avec cette pièce qui le tentait depuis longtemps mais l’intimidait.

Ecrite en exil en 1936, cette pièce peu connue, inspirée de Mesure pour mesure de Shakespeare, est une farce grotesque qui anticipe les ravages imminents du nazisme dénonçant les théories raciales à travers une fable aussi simpliste, en apparence, que le sont ces funestes théories. Au pays Yahoo vivent les Tchiches et les Tchouques, les premiers ont la tête pointue quand les second l’ont ronde. La révolte paysanne de la faucille menace le pouvoir car, dans un contexte économique désastreux, les propriétaires augmentent sans cesse les loyers des métayers qui ne peuvent plus travailler dans des conditions décentes. Un personnage providentiel surgit qui va sauver l’Etat en proposant de détourner les esprits de la lutte des classes en inventant un bouc émissaire contre lequel retourner toutes les revendications. Et de manière totalement arbitraire, ce cynique personnage désigne les Titches aux têtes pointues comme la cause de tous les maux du peuple ; il faut donc les exterminer. Quand la paix reviendra, on désignera un autre bouc émissaire, les têtes carrées voisines, contre lesquelles se ligueront ensemble les Titches et les Tchouques. Si la fable évoque clairement le nazisme, elle a une puissante portée universelle et son actualité n’échappera à personne.

Entre théâtre de tréteaux et comédie musicale

Dans une nouvelle traduction d’Eloi Recoing et Ruth Orthmann, la mise en scène de Christophe Rauck veille à l’universalité du propos ; Le décor de Jean-Marc Stehlé évoque des dessins de papier découpé et de lourds panneaux mobiles, principe parfois un peu pesant, délimitent les espaces et les scènes. Dans la tradition de Benno Besson (pour qui Stehlé faisait les magnifiques décors) Les comédiens sont masqués et leurs visages dissimulés effacent leur personnalité pour laisser la place à des figures représentant non plus les personnes mais le statut social. Ils sont tous formidables rompus également à l’art de la commedia dell’arte et au chant. Rauck marie habilement la référence au théâtre de tréteaux brechtien et à la comédie musicale. On regrettera cependant la musique de Kurt Weil qui donnait aux songs une puissance que la musique d’Arthur Besson, plutôt heureuse par ailleurs, amollit pour en faire des chansonnettes un peu mièvres. A cette réserve près, le spectacle est une réussite, surtout la deuxième partie, enlevée et rythmée. Avec ce théâtre politique populaire qui fera taire ceux qui prétendent que Brecht est ennuyeux, La mise en scène de Christophe Rauck vient à point nommer nous rappeler que la vigilance est de mise aujourd’hui autant qu’hier.

Têtes rondes et têtes pointues de Bertold Brecht, traduction Eloi Recoing et Ruth Orthmann, mise en scène Christophe Rauck ; scénographie, Jean-Marc Stehlé ; musique originale, Arthur Besson ; costumes, Coralie Sanvoisin ; masques, coiffes et chapeaux, Judith Dubois ; dramaturgie, Leslie Six ; lumière, Olivier Oudiou. Avec Myriam Azencot, Émeline Bayart, Juliette Plumecocq-Mech, Camille Schnebelen, Marc Chouppart, Philippe Hottier, Jean-Philippe Meyer, Alain Trétout, Marc Susini. Durée : 2h55 (avec entracte).

Au TGP jusqu’au 6 février, lundi, jeudi, vendredi À 19h30, samedi à 18h, dimanche à 16h, relâche le mardi et mercredi.

www.theatregerardphilipe.com - Tel : 01 48 13 70 00

Texte publié à L’Arche Éditeur

Photo Anne Nordmann

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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1 Message

  • Têtes rondes et têtes pointues 25 janvier 2011 00:37, par Joseph Marcus

    Des déplacements répétitifs à l’image de la scénographie avec des panneaux qui ne cessent d’aller et venir, des comédiens dissimulés sans aucune personnalité, des chansonnettes insipides idem pour la musique, un texte vieillot qui radote, tellement ancré dans l’histoire du nazisme que "la portée universelle" relève de la formule.

    Reconnaissons une petite tentative de transposition contemporaine avec une prise de micro par l’un de nos nouveaux directeurs cathodiques de conscience (pour "nous rappeler que la vigilance est de mise aujourd’hui autant qu’hier" ?). Quelle audace.

    En bref, on somnole pendant 2 heures avant que les comédiens, enfin, se réveillent.

    Du "théâtre populaire" ? : quel mépris pour le peuple.

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