Aida de Verdi à l’Opéra Bastille le 1er octobre

Terrestre Aida

Plombé par des vidéos édifiantes, l’opéra de Verdi s’en affranchit grâce à une distribution choisie et à une direction d’orchestre énergique et délicate.

Terrestre Aida

SHIRIN NESHAT SIGNE LA NOUVELLE AIDA actuellement à l’affiche de l’Opéra Bastille*, et son constat est sans appel : la guerre est une chose dramatique. Certes. Mais suffit-il, une fois de plus, de projeter des images, aussi violentes soient-elles, pour donner une épaisseur et une âme à un spectacle lyrique ? D’origine iranienne, Shirin Neshat vit à New York et dénonce, dans ses films et ses très belles photographies, la manière dont les femmes sont victimes dans de nombreuses régions du monde ; mais nous sommes ici au théâtre, faut-il le répéter, et ce ne sont pas non plus des visages projetés en grand format sur fond de murmures enregistrés (qui se superposent aux bavardages et aux toussotements des spectateurs), pendant les pauses séparant les tableaux ou les actes, qui peuvent faire exister scéniquement un opéra, et singulièrement Aida.

Certes, le décor se résume à une boîte étouffante qui peut évoquer la base d’une pyramide ; certes, le défilé triomphal du deuxième acte rend hommage aux vaincus au lieu de célébrer les vainqueurs ; certes, l’humiliation et la douleur sont ici représentées plutôt que la gloire militaire. Mais rien ne remplace une direction d’acteurs insufflant la vie aux personnages sans reproduire les poncifs qu’on retrouve hélas ici : le valeureux Radamès qui brandit son épée, le chœur qui lève les bras au ciel, etc.

De la musique avant toute chose

C’est du côté de la musique qu’il faut se tourner pour goûter la réussite de cette Aida. Au fil des années, la voix de Piotr Beczała ne perd rien de son éclat. Sonore, vaillant, voilà un Radamès on ne peut plus solide, qui nous comblerait s’il nous offrait quelques pianissimos ineffables (à la fin de son air d’entrée « Celeste Aida », par exemple), lesquels viendraient nuancer le tempérament de ce héros claironnant.

Aida et Amnéris se complètent idéalement. Ève-Maud Hubeaux a la présence d’une fille de roi et joue avec autorité de son timbre de mezzo-soprano plus moiré que réellement sombre. Amnéris est sans doute le personnage le plus attachant de l’opéra de Verdi, et toute la gamme de sentiments des actes IV et V (de la fureur jalouse à la détresse amoureuse) est exprimée avec une belle conviction. Face à elle, l’Aida de Saioa Hernández, au jeu timide et retenu, se révèle dans les douloureuses scènes au bord du Nil. Oublions quelques aigus tirés pour saluer, dans le duo final avec Radamès, la manière dont la chanteuse donne à sa voix la plus éloquente douceur.

Le monument et les détails

Alexander Köpeczi (Ramfis) et Krzysztof Bączyk (le Roi), qui incarnent la loi et le pouvoir, font ce qu’on attend d’eux avec aplomb, Roman Burdenko n’est pas une caricature d’Amonasro, et saluons, dans le bref rôle du Messager, la chaleur de la voix de Manase Latu. Les Chœurs sont eux aussi à la fête : Verdi leur a écrit des pages monumentales (qu’on ne réduira pas à celles du deuxième acte), rendues ici avec une belle maîtrise.

C’est aussi dans la fosse que chante cette Aida. L’acoustique de l’Opéra Bastille est loin d’être idéale, mais Michele Mariotti parvient à faire sonner non seulement les moments spectaculaires de l’opéra, mais aussi les nombreux passages tissés de délicatesse qu’il contient. On goûte la légèreté des cordes dans l’aigu, la présence poétique du hautbois, la manière dont Michele Mariotti sait donner autant d’intensité dramatique à la pompe qu’au lyrisme. Ne fût-ce que pour la souplesse et la force expressive de l’orchestre, cette Aida est une réussite.

Illustrations : Ève-Maud Hubeaux (Amneris), Piotr Beczała (Radamès), Saioa Hernández (Aida). Saioa Hernández (Aida). Photos Bernd Uhlig/Opéra national de Paris

* Le spectacle, déjà présenté au Festival de Salzbourg en 2017 puis en 2022, a subi quelques modifications depuis lors.

Verdi : Aida. Avec Saioa Hernández (Aida), Ève-Maud Hubeaux (Amneris), Piotr Beczała (Radamès), Alexander Köpeczi (Ramfis), Krzysztof Bączyk (le Roi), Roman Burdenko (Amonasro), Manase Latu (Un messager), Margarita Polonskaya (la Prêtresse). Mise en scène et vidéos : Shirin Neshat ; décors : Christian Schmidt ; costumes : Tatyana van Walsum ; lumières : Felice Ross ; chorégraphie : Dustin Klein ; Chœurs (dir. Ching-Lien Wu) et Orchestre de l’Opéra national de Paris, dir. Michele Mariotti. Opéra Bastille, 1er octobre 2025. Représentations suivantes : 4, 7, 10, 13, 16, 19, 22 octobre, 1er et 4 novembre.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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