Romain Rolland, les mots et les notes
Dans une pièce à un personnage signée Michel Mollard, Romain Rolland nous convainc que la musique est peut-être la seule réponse à l’énigme du monde.
ROMAIN ROLLAND FUT CE QU’ON APPELLE une conscience. Né à Clamecy sous le Second Empire (en 1866), mort à Vézelay à la fin de la Seconde Guerre mondiale (en 1944), fidèle ainsi à sa chère Bourgogne, il fit partie de ces esprits à la fois érudits et sensibles qui croyaient en la civilisation européenne et en l’homme, tout simplement. Ses amitiés avec Stefan Zweig, avec Gandhi et avec bien d’autres, la correspondance qu’il entretint avec Claudel, Aragon et Richard Strauss témoignent de cet idéalisme qu’il ne faut pas renoncer à appeler humanisme. Saisi de détresse en 1914 quand il comprit que l’Europe s’abandonnait au suicide, il choisit la voie du pacifisme, « au-dessus de la mêlée », et crut avec une certaine naïveté en les promesses de la Révolution russe.
On a cité Richard Strauss : la musique fut en effet l’un des ressorts de la vie et de l’œuvre de Romain Rolland. Son vaste roman Jean-Christophe met en scène un jeune compositeur qui pourrait être Beethoven, cent ans après, et tente de montrer comment la France et l’Allemagne ne peuvent que s’entendre par le biais de la musique.
Tel est précisément le propos de Michel Mollard dans sa pièce Dernières notes : Romain Rolland y est interprété par un jeune pianiste également comédien, Guilhem Fabre, qui récapitule, lors de la nuit de Noël 1944, les convictions et les tristesses de l’écrivain. Un écrivain qui se met à son piano pour jouer quelques mesures de la dernière sonate de Beethoven (la Trente-deuxième, opus 111), qu’il mêle à ses réflexions sur l’Histoire, sur l’amitié, sur la politique, sur la foi.
Dieu et Beethoven
Michel Mollard, lui-même éditeur et organisateur de concerts (au Théâtre des Champs-Élysées et dans le cadre du Festival de la Haute-Clarée) nous montre un Romain Rolland soucieux de conjuguer les élans de la passion et les droits de la raison. S’il n’a pas rencontré Dieu, Rolland le soupçonne toutefois d’avoir donné le doute à l’homme ; il devine aussi que Dieu parle en Jésus mais que Jésus « n’est pas le seul en qui parle Dieu ». À la fin, comme si les mots étaient impuissants à conjurer la violence du monde, Rolland-Fabre se met au piano et joue entièrement la Sonate opus 111, comme le fit Romain Rolland, dans un suprême effort, quelques jours avant de mourir.
Il est rare qu’un musicien doué soit aussi un comédien de talent. Guilhem Fabre, dans l’intimité du Studio Hébertot, se suffit d’un piano, d’un fauteuil et de la mise en scène très sobre de François Michonneau pour nous livrer un texte où il est question, sans démonstration appuyée ni didactisme, des enjeux de l’homme quand il croit encore aux vertus de l’art et à la nécessaire alliance de la sensibilité et de la raison. Sans nostalgie, et pour l’amour de la musique et de la littérature, c’est-à-dire de la vie, allez écouter ce que nous disent ces Dernières notes.
Illustration : Steve Bouteiller / Captation.fr
Michel Mollard : Dernières notes. Avec Guilhem Fabre, mise en scène de François Michonneau. Studio Hébertot (www.studiohebertot.com, 01 42 93 13 04) jusqu’au 22 octobre 2023 (à 19h du jeudi au samedi, à 17h le dimanche).
Le texte de la pièce Dernières notes a été publié aux éditions Nuvis. Michel Mollard a également publié, chez le même éditeur, Ni Lang Lang, ni Glenn Gould.