Paris, Théâtre de la ville
Loin de Corpus Christi de Christophe Pellet
Le cinéma en scène
Tout commence en 2005 à la cinémathèque de Paris où, chargée de recherches, une jeune femme, Anne Wittengstein (Sophie Tellier), découvre à l’occasion d’une projection du film de Victor Saville Le Pays du Dauphin vert (1947) avec Lana Turner, un comédien quasi inconnu, Richard Hart, né à Corpus Christi en Pennsylvanie et décédé en 1951 à l’âge de 35 ans. Bouleversée par l’apparence du jeune homme, elle lance une enquête le concernant. La première partie couvre la période hollywoodienne 1945–1947, en particulier à travers les rencontres à distance avec une responsable de la Metro Goldwyn Meyer, Norma Westmore (Marianne Basler), qui contribua à la brève carrière de Hart (Brice Hilaire). Autour de lui se croisent des figures du cinéma de l’époque avec surtout la présence de Bertold Brecht (réincarné avec bonheur par Bernard Bloch) réfugié aux USA pour fuir le nazisme, devenu scénariste et tentant sans illusion d’intégrer un système économique et social qu’il condamne. L’histoire, qui se déroule dans un climat de délation préfigurant le maccarthysme, intégre des personnages imaginaires tels Kathleen Sebban-Neal (Tania Torrens) ou Julie Aznar (Annick Le Goff), dans un métissage entre le réel et la fiction révélateur d’une interrogation sur le pouvoir de l’image et sa perception, avec les illusions et déconvenues qu’elle entraîne.
Ce premier volet d’un texte écrit en forme de scénario par Christophe Pellet, s’avère le plus intéressant de cette création scénique hybride, tout autant par les situations proposées, que par l’articulation des séquences successives qui l’animent avec liberté dans un va-et-vient temporel. Dans le décor unique, monumental et kitch d’esprit hollywoodien conçu par Catherine Rankl, la partie centrale abrite une salle de cinéma équipée d’un plan pivotant doté de fauteuils. Elle sert en majorité à la localisation des rencontres ponctuées de flashbacks entrecroisant les personnages et les époques. Déjà adepte – parmi d’autres – d’une filiation revendiquée avec l’écriture cinématographique au théâtre, Jacques Lassalle, utilise dans sa mise en scène ses moyens traditionnels, sans tomber systématiquement dans une déclinaison - tentante au vu du sujet - des technologies liées au 7ème Art et à ses dérivés. Cadrages, plans séquences, enchaînements, variations spatiales s’enchainent dans des changements à vue avec plus ou moins de réussite, mais le montage rythmique de la représentation s’essouffle et dilue les propos et les enjeux de cette évocation.
La seconde partie du spectacle se situe en 1989 à Berlin au moment de la chute du Mur, où Norma Westmore s’est réfugiée depuis une vingtaine d’années. Vivant de leçons d’anglais avec son amant, Moritz, elle découvre dans les archives de la Stasi, dont celui-ci fut un des collaborateurs, la surveillance dont elle a fait l’objet, au même titre que celle pratiquée en son temps par Hart alors agent du FBI. Manipulations et répressions n’ont pas de frontières. Fin des rêves et des illusions. Puis la représentation se projette en 2025 avec une ultime rencontre entre Norma et Anne en forme d’épilogue, dont la portée n’apparaît pas d’une évidente nécessité. A partir d’un projet ambitieux, une création qui ne donne pas toute sa mesure subversive, et laisse parfois perplexe malgré ses respectables
intentions.
©Marc Ginot
Loin de Corpus Christi de Christophe Pellet (L’Arche éditeur), mise en scène Jacques Lassalle, avec Marianne Basler, Annick Le Goff, Sophie Tellier, Tania Torrens, Julien Bal, Bernard Bloch, Brice Hilaiter, et la voix de Sarah Tick. Scénographie Catherine Ranlk, lumières Franck Thévenon, costumes Arielle Chanty, son et images Serge Monségu. Durée : 2 h 40 avec entracte. Théâtre de la Ville – Paris jusqu’au 6 octobre 2012. En tournée : Théâtre des Treize Vents - Montpellier du 10 au 19 octobre, Le Préau –CDN de Vire le 13 décembre, Théâtre des Célestins –Lyon du 26 au 30 mars 2013.
