Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach à l’Opéra-Comique le 29 septembre
Les Contes abymés
En une seule et même soirée, Les Contes d’Hoffmann et l’analyse des Contes. Ou comment mettre en scène un ouvrage dont le malheureux compositeur serait aussi le héros malheureux.
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- 30 septembre
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LES CONTES D’HOFFMANN FONT PARTIE DE CES OUVRAGES laissés inachevés puis soumis à toutes les convoitises et à toutes les expériences. De la création de l’ouvrage à l’Opéra-Comique le 10 février 1881, quatre mois après la mort du compositeur, jusqu’à aujourd’hui, la partition d’Offenbach et le livret de Jules Barbier ont fait l’objet d’hypothèses et de reconstitutions plus ou moins hasardeuses. Les découvertes et les enquêtes, au fil des éditions proposées par l’éditeur Choudens puis par des chercheurs, ont abouti, pour aller vite, à une version co-signée par le musicologue Michael Kaye et le chef d’orchestre Jean-Christophe Keck, lui aussi musicologue, artisan par ailleurs de la mise au net de l’ensemble des œuvres d’Offenbach, « qui a écrit 130 opéras au sein d’un catalogue complet de 650 œuvres » : « Je n’en verrai jamais le bout de mon vivant », avoue Jean-Christophe Keck avec simplicité.
C’est sur cette version des Contes d’Hoffmann, qu’on appellera provisoirement définitive, que s’appuie la production actuellement à l’affiche de l’Opéra-Comique après qu’on a pu la voir au début de cette année à Strasbourg et à Reims*. Une version ouverte, plutôt, qui propose, selon le mot même de Jean-Christophe Keck, l’ensemble des sources disponibles : « Non pas un self-service mais un vivier, auquel j’associe la proposition de différentes combinaisons qui me paraissent cohérentes, en accord avec les volontés manifestes du compositeur. » La logique voudrait alors que ce soit au chef d’orchestre, chargé d’assurer la plus grande cohérence musicale au spectacle, que soit confiée la responsabilité des choix nécessaires. Or, Lotte de Beer, chargée de la mise en scène, a également imposé ses vues, qui remettent en cause la conception même de l’ouvrage, et plus spécialement son déroulement : il ne s’agit plus d’assister à un opéra dont le héros est un artiste malheureux en amour, mais à la genèse même de cet opéra, la Muse dudit écrivain exhortant son protégé à faire ceci ou à ne pas faire cela, l’encourageant à créer plutôt qu’à aimer, et s’accordant finalement le rôle principal : celui de metteur en scène ou plutôt de grand ordonnateur du spectacle.
Les Contes d’Hoffmann, parlons-en
Ainsi mis en abyme, Les Contes d’Hoffmann se déroulent sur deux plans : à l’avant-scène, Hoffmann et sa Muse (qui est aussi le double du personnage de Nicklausse) parlent de la manière dont l’ouvrage doit se poursuivre ; derrière, sur la scène, Hoffmann essaye tant bien que mal de vivre ses passions sous l’œil vigilant de celle qui l’encourage et le protège. L’un et l’autre sont à la fois dedans et dehors, ils agissent tout en commentant ce qu’ils font.
Pour aboutir à ces nouveaux Contes, il fallait bien sûr un prétexte : celui de revenir à la conception première d’Offenbach, qui souhaitait écrire un opéra-comique et non pas un opéra (on sait qu’après la mort du compositeur, c’est Ernest Guiraud qui se chargea de composer les récitatifs). Démarche louable, à ceci près qu’il s’est agi pour Lotte de Beer de commander de nouveaux dialogues, écrits par Peter te Nuyl puis traduits de l’allemand en français par Frank Harders ! Nouveaux dialogues permettant la version que l’on vient de décrire, qui contient à la fois les Contes et la critique des Contes (Hoffmann et la Muse ont seuls droits à ces passages parlés, tous les autres personnages chantent). On se demande pourquoi Lotte de Beer, emportée par son élan pédagogique, n’a pas permis à Hoffmann et à sa Muse d’ouvrir un dialogue sur les différentes versions des Contes, l’un proposant tel air, l’autre préférant tel numéro alternatif.
On ne s’étendra pas sur ces dialogues et leur pénible phraséologie contemporaine (« fantasmes érotomanes », « ta dramaturgie est tellement attendue, Hoffmann ») pour revenir à la partition utilisée, qui permet d’entendre des pages méconnues, dont les avatars de la version Choudens nous ont longtemps privés : le duo entre Hoffmann et Lindorf au premier acte, par exemple, ou l’air de Giulietta « L’amour lui dit ». La succession Olympia-Antonia-Giulietta est respectée, mais l’acte de Venise paraît toujours aussi confus. Et si l’on n’entend pas l’air « Scintille diamant », en toute logique dans ce contexte qui se veut musicalement rigoureux, l’ouvrage s’achève par le quatuor « Des cendres de ton cœur » que suit le chœur « On est grand par l’amour ».
La candeur du désespoir
Lotte de Beer, outre sa volonté d’offrir aux Contes d’Hoffmann un nouveau profil, ne tire pas l’ouvrage vers la poésie ni le fantastique. Décor en forme de boîte assez étouffant, costumes ordinaires, éclairages sans fantaisie, le spectacle intéresse davantage qu’il trouble ou ravit. Quelques idées plus ou moins directrices (les tables et les chaises trop grandes au I et trop petites au IV, la poupée Olympia géante et minuscule au II) n’empêchent pas que Lotte de Beer ne sache pas trop quoi faire de certaines de ses trouvailles : les Hoffmann démultipliés au IV par exemple.
On attendait Michael Spyres dans le rôle d’Hoffmann, dont il est familier. Il nous livre un personnage à la fois bonhomme et blessé, naïf et amer, héroïque et maladroit, toutes qualités qu’on trouve à la fois dans son incarnation physique, dans son visage expressif entre tous, et bien sûr dans sa voix. Baryton et ténor, le timbre on ne peut plus chaleureux, le chant nuancé du murmure à l’éclat, avec même des accents presque parodiques à force d’être rageurs au IV (« Et moi, ce n’est pas ce qui m’enchante »), Michael Spyers fait varier les couleurs en un instant, au fil des sentiments du personnage, et Dieu sait s’ils sont contradictoires ! Ajoutons que sa diction (chantée et parlée) est irréprochable.
Aimable chanson
À force de présence et de brio, Héloïse Mas (Nicklausse/la Muse) réussit à nous faire oublier tout ce qu’il y a de péniblement démonstratif dans les dialogues, ce qui ne l’empêche pas également de faire un bel usage de sa voix de mezzo et d’aborder avec feu « Vois, sous l’archet frémissant ». Amina Edris convainc moins dans le quadruple rôle des figures amoureuses d’Hoffmann : oublions Stella, rôle épisodique, et Giulietta, qui dans cette production manque de chair ; son Olympia n’a rien de mécanique ni d’obsédant (donc de fantastique) et « Les oiseaux dans la charmille » se transforment en aimable chanson avec coloratures. On la trouve plus à l’aise dans l’acte d’Antonia, face à un excellent Nicolas Cavallier (le Père) et à la voix sonore de Sylvie Brunet-Grupposo (qui remplaçait Marie-Ange Todorovich dans le rôle de la Mère).
Jean-Sébastien Bou, perruques rousses et allure de fonctionnaire agité, nous change des Méchants habituels, faussement grinçants ou ridiculement méphistophéliques. L’économie générale du spectacle fait que Lindorf, Coppélius, Miracle et Dapertutto ne sont plus des moteurs mais des personnages épisodiques. Jean-Sébastien Bou, avec sa voix sans noirceur, se glisse avec intelligence dans ses personnages entre-deux-eaux.
On salue la belle cohésion du chœur (l’Ensemble Aedes, égal à lui-même), et les belles couleurs de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg qui, malgré les interventions de nos deux duettistes et le morcellement de la soirée qui s’ensuit, arrive, sous la direction de Pierre Dumoussaud, à donner une énergie musicale à une partition inégalement inspirée. On ne saura jamais quel visage, au bout du compte, auraient eu Les Contes d’Hoffmann, mais on sait qu’Offenbach s’est épuisé à la tâche. Un dessein trop grand pour lui ?
Illustrations : Hoffmann, Stella et Lindorf ; Hoffmann et Nicklausse/la Muse (photos Stefan Brion)
* Le spectacle est aussi coproduit par le Volksoper de Vienne dont la directrice est Lotte de Beer, qui met en scène ces Contes d’Hoffmann.
Offenbach : Les Contes d’Hoffmann. Avec Michael Spyers (Hoffmann), Héloïse Mas (la Muse/Nicklausse), Amina Edris (Stella, Olympia, Antonia, Giulietta), Jean-Sébastien Bou (Lindorf, Coppélius, Miracle, Dapertutto), Raphaël Brémard (Andrès, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio), Nicolas Cavallier (Luther, Crespel), Matthieu Justine (Nathanaël, Spalanzani, le Capitaine des sbires), Mathieu Walendzik (Hermann, Schlémil), Sylvie Brunet-Grupposo (la Voix de la mère d’Antonia) ; Ensemble Aedes (dir. Mathieu Romano), Orchestre philharmonique de Strasbourg, dir. Pierre Dumoussaud.
Opéra-Comique, 29 septembre 2025. Représentations suivantes : 1er, 3, 5 octobre.



