Paris – Théâtre de l’Athénée jusqu’au 15 décembre 2012

La Voix Humaine de Francis Poulenc et Jean Cocteau

Stéphanie d’Oustrac tragédienne de l’abandon

La Voix Humaine de Francis Poulenc et Jean Cocteau

Quatre représentations à peine de la production d’un mini-opéra (par sa durée) aux maxi-émotions (par son sujet et son interprétation). Au Théâtre de l’Athénée la mezzo soprano Stéphanie d’Oustrac vient de faire revivre La Voix Humaine tragédie d’une femme abandonnée telle que l’avait imaginée Jean Cocteau en 1930 pour Berthe Bovy qui la créa à la Comédie Française.

Un dialogue à une voix. Une femme, un téléphone, un amant à l’autre bout du fil qu’on ne voit pas, qu’on n’entend pas mais dont on comprend chaque phrase dérobée. Une rupture. Elle l’aime, il ne l’aime plus. Il le lui dit à distance, trop lâche sans doute pour le lui dire en face. Elle refuse, elle accepte, elle se bat, elle renonce. Son monde s’écroule. C’est la banalité du quotidien transcendée en tragédie antique.

Vingt huit ans plus tard Francis Poulenc la mit en musique aux mesures de sa muse Denise Duval, inoubliable. Un opéra d’à peine 35 minutes pour une voix d’exception et un tempérament de feu. Au cinéma, Anna Magnani en fut l’interprète dans un film de Roberto Rossellini tandis que Dominique Delouche filma « la » Duval dans le rôle chanté

Le metteur en scène Vincent Vittoz vient de trouver à son tour la figure idéale de cette amoureuse qui brûle et se consume avec les accents de la jeunesse d’aujourd’hui : rien de moins que l’arrière petite nièce du compositeur, Stéphanie d’Oustrac, dont le timbre au cuivre léger, la présence rayonnante habite depuis quelques années déjà des répertoires variés, du baroque – Lully avec les Arts Florissants de William Christie – aux romantiques – l’Etoile de Chabrier, Carmen de Bizet (voir webthea des 17 décembre 2007 & 12 octobre 2008).

Pour étoffer à la fois le spectacle et son personnage Vittoz lui injecte deux sortes de « préludes », du même Cocteau, le premier La Dame de Monte-Carlo mis en musique par Poulenc en 1961 et la version parlée, dite de poche de son Bel Indifférent rebaptisée Lis ton journal.

Trois portraits de femme en une seule

Trois portraits de femme en une seule, trois victimes. Celle qui hante les casinos et qui, de déchéance, en déchéance ; finit par choisir le suicide, celle jalouse, minée par la hantise de perdre l’être aimé qui s’adresse à un absent de cœur.

La Dame de Monte-Carlo surgit la première comme suspendue derrière un rideau qui dégringole des cintres en plis de chiffons et de toiles d’araignées, gris, rose, rouge, noir. Elle est une ombre et va devenir ombre définitivement « morte parmi les mortes » - une chaise, un journal, une femme en larmes et en rage, le Bel Indifférent lui succède et confirme que Stéphanie d’Oustrac est actrice autant que chanteuse. Enfin elle s’investit dans l’ultime, celle de la « Voix  » trop humaine suspendue au téléphone, comme si naturellement, son destin passait de l’une à l’autre.

C’est la rare version pour piano qui a été choisie, dépouillant la tragédie de tous les ornements d’un orchestre : une mise à nu que les notes soulignent tantôt en pointillé, tantôt en vagues dévorantes, avec, comme un signal d’alarme, dans l’angoisse d’un silence, la cadence presque frétillante de la sonnerie attendue. Pascal Jourdan les égrène sur son clavier à la manière d’une écharpe tendue qui tantôt réchauffe, tantôt étrangle.

Belle, animale, ses longs cheveux roulant en boucles sombres sur son dos, Stéphanie d’Oustrac vit le calvaire de l’abandonnée, la diction perlée se perdant ici ou là dans les aigus des cris, la voix toujours ardente, vibrante de chair et de déchirures.

La Voix Humaine, précédée La Dame de Monte Carlo et de la version brève du Bel Indifférent, textes de Jean Cocteau, musiques de Francis Poulenc. Mise en scène Vincent Vittoz, scénographie Amélie Kiritzé-Topor, costumes Sylvie Ayrault et Christel Desjardins, lumières Robert Venturi. Avec Stéphanie d’Oustrac et Pascal Jourdan au piano.

Théâtre de l’Athénée, les 5, 7, 8, 12, 14 et 15 à 20h. Le 9 à 15h et le 11 à 19h

01 53 05 19 19 – www.athenee-theatre.com

Crédit photo : Amélie Kiritzé-Topor

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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