Il piccolo Marat de Mascagni à Nantes

La Loire, un torrent révolutionnaire

Page oubliée de l’histoire nantaise, partition méconnue de la musique italienne : Angers Nantes Opéra propose de découvrir Il piccolo Marat de Mascagni, un drame nantais de la Terreur.

La Loire, un torrent révolutionnaire

UNE FOSSE TROP JUSTE pour la soixantaine de musiciens de l’Orchestre national des Pays de la Loire, des chœurs en nombre, et une scène trop petite : voici qui justifie un opéra en version de concert, « mis en espace » par Sarah Schinasi. Pour ne pas figer les 2h50 de musique – sage idée ! –, les chanteurs se meuvent et s’interpellent sur le devant de la scène dans des tableaux scénarisés et construits avec quelques maigres éléments de décor. Un choix qui épargne certes l’alignement engoncé des robes de soirée et des nœuds papillons, mais qui laisse un goût de compromis tiède. Les costumes ne sont-ils d’ailleurs pas disparates, les uns en tenue de ville, les autres en costume de scène ? Comme si on n’avait pas réussi à choisir.

Il faut revenir en 2021 pour comprendre les raisons de cette œuvre. Le Théâtre de Livourne présente cette année-là Il piccolo Marat de Pietro Mascagni (1863-1945), une œuvre créée un siècle plus tôt au Teatro Costanzi de Rome, et suggère opportunément à Angers Nantes Opéra de s’approprier l’œuvre la plus nantaise du répertoire, composée sur un livret de Giovacchini Forzano.

La noyade comme arme politique

En 1793 et 1794, le député Carrier avait organisé « les noyades de Nantes », un épisode tragique de la Terreur au cours duquel quelques milliers de prisonniers périrent au fond du fleuve, après le sabordage de leur gabarre. La partition traduit au plus juste ce « torrent révolutionnaire » avec des coups de sang et du drame. Au pupitre, Mario Menicagli en donne une lecture énergique et colorée, depuis la noirceur la plus vile de l’Orco jusqu’aux promesses amoureuses du « Petit Marat » et de Mariella. L’ONPL, dont la présence sur scène offre un son généreux et permet d’entendre dans le détail les différents pupitres, est au rendez-vous avec une interprétation engagée.

Les rôles principaux sont tenus par une distribution de bon niveau. L’Orco est physiquement, théâtralement et vocalement incarné par Andrea Silvestrelli, dont l’intensité du chant et la voix ample sont le miroir de sa brutalité sur scène. Rachele Barchi est une Mariella tout de douleur et de sincérité. Juste dans son interprétation, la soprano italienne fait preuve de lignes élégantes qu’un manque d’épaisseur atténue parfois. La Mère, dont la silhouette rappelle la Callas, est chantée par Sylvia Kervorkian, dans une interprétation sensible et douloureuse. Cette princesse de Fleury, sauvée des geôles par son fils jouant le révolutionnaire, le « Piccolo Marat », sauvera finalement sa peau. Ce n’est pas son costume, béret et drapeau tricolore miniature sur l’épaule, qui donne son crédit au Soldat, mais Matteo Lorenzo Pietrapiana est un soldat inspiré, dont la présence scénique et la voix claire convainquent. En Charpentier, Stavros Mantis impressionne par une projection franche et sonore, sans délaisser tourments inhérents à son personnage : il est l’armateur, le fabriquant des outils de la mort orchestrée par L’Orco.

Passion révolutionnaire

C’est Samuele Simoncini qui s’attaque au rôle du Petit Marat, avec l’énergie et le panache qu’on lui avait trouvés dans Tosca au mois de juin dernier. Il se dit que ce rôle a été refusé par les plus grands : trop exigeant, trop délicat. Le ténor italien en fait son affaire sans se ménager, au point de montrer une ligne de chant parfois hésitante. Les aigus sont toutefois éclatants, la voix clairement projetée, le tout transpirant la passion.

Il faut aussi saluer la performance du Chœur d’Angers Nantes Opéra, dont la densité impressionne dès le début du premier acte, dans cette ode à la Vierge des prisonniers perdus. Du chœur masculin, cinq chanteurs se détachent pour prendre de petits rôles avec réussite et crédibilité.

Rares sont les occasions de découvrir des œuvres méconnues de compositeurs renommés. De Mascagni, on connaît surtout Cavalleria rusticana. À Nantes, Mascagni jouait donc presque « à domicile », avec cette sombre page de l’Histoire de la ville que la musique a remis dans les mémoires. Une réussite !

Illustration : Garance Wester

Pietro Mascagni : Il piccolo Marat. Avec Rachele Barchi (Mariella), Andrea Silvestrelli (L’Orco), Samuele Simoncini (le Petit Marat), Sylvia Kevorkian (la Mère), Matteo Lorenzo Pietrapiana (le Soldat), Stravos Mantis (le Charpentier), Alessandro Martinello (l’Espion), Simone Rebola (le Voleur), Gian Filippo Bernardini (le Tigre), Bo Sung Kim* (Une voix), Carlos Torres Montenegro* (Une voix interne) ; Agustin Perez Escalante* (Une interne et le porteur d’ordre), Nicolas Brisson* (l’Évêque, le Prisonnier). Mise en espace : Sarah Schinasi ; Chœur d’Angers Nantes Opéra (dir. Xavier Ribes), Orchestre national des Pays de la Loire, dir. Mario Manicagli. Nantes, Théâtre Graslin, 3 octobre 2024.
* Choristes d’Angers Nantes Opéra

A propos de l'auteur
Quentin Laurens

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook